Saint-Laurent-du-Maroni (2) : le Camp de la Transportation
Entre 1852 et 1953, environ 70 000 condamnés seront passés dans les camps implantés sur le territoire du département. Partis de Saint-Martin-de-Ré, ils embarquent sur le "La Martinière" et arrivent à Saint-Laurent-du-Maroni après 14 jours de mer. Toute la population de la ville assistait au débarquement des bagnards qui se dirigeaient, dès leur arrivée, vers le Camp de la Transportation.
En regardant ces cases alignées, on ne peut s'empêcher de penser aux films sur les camps de déportation de la seconde guerre mondiale.
Les passages en italique sont extraits du livre : "La guillotine sèche, histoire du bagne de Cayenne" de Jean Claude Michelot, éditions Fayard.
le Camp de la Transportation vu du fleuve
Dès leur arrivée, ils étaient divisés en 2 groupes : les transportés (suite à une condamnation de la Cour d'Assises) et les relégués. Les rélégués (des récidivistes ayant déjà purgé leur peine de prison en France. La relégation était une peine subsidiaire destinée à purger la France des vagabonds et des voyous récidivistes) étaient conduits directement au camp de Saint-Jean-du-Maroni à quelques km plus à l'Ouest de Saint-Laurent.
tableau de Francis Lagrange : l'arrivée des bagnards
Après quelques centaines de mètres, la colonne de transportés, de 200 à 300 hommes, arrivait devant la porte du pénitencier surmontée d'une inscription : Camp de la Transportation.
La colonne passait ensuite, en foulant l'allée rectiligne de sable blanc, entre les deux rangées de six cases sans étage. Chacune pouvait contenir une soixantaine de prisonniers.
Tableau de Francis Lagrange : l'entrée au Camp
Les conditions de logement ont été décrites par le Dr Rousseau qui eut l'occasion pendant deux ans de les observer quotidiennement :
"Les condamnés à la peine de travaux forcés sont logés dans de longs bâtiments ne comportant qu'un rez-de-chaussée, qu'on désigne sous le nom de "cases". Ces cases sont au niveau du sol ou à peine surélevées. Leur plancher est un bétonnage. Pas de plafond. La toiture est faite de tôle ondulée ou plus souvent de bardots. Il n'y a jamais qu'une porte, quelle que soit la longueur du bâtiment. Les fenêtres, garnies de barreaux, ne laissent rien voir.
Jusqu'en 1928, un plan incliné bétonné recouvert de planches juxtaposées ou " bat-flanc " allait d'un bout de la case à l'autre. Les hommes couchaient tous ensemble, alignés sur ce lit commun, quelquefois très encombré, toujours sale, parce que commun, et où chaque individu avait tout juste cinquante centimètres de largeur à sa disposition (…) Depuis le mois de septembre 1928, ils ont chacun leur hamac.
La cuisine du Camp
Au bout de chaque case, sont les cabinets d'aisance avec les tinettes. Ces cabinets s'ouvrent sur la salle commune, l'air des cases est toujours empuanti. Les hommes n'ont à leur disposition aucun moyen de détersion. Une baille d'eau est mise dans la case et, quand ils vont aux cabinets, ils y plongent une vieille boîte de conserve que chacun a pour cet usage. Or, cette baille est la baille d'eau potable, dans laquelle ils plongent aussi leurs quarts. On se doute de ce que peut être cette eau quand cinquante individus y ont plongé leurs quarts et la boîte qui les accompagne aux cabinets.
Le lavoir
Ces cases ne sont jamais nettoyées. Le lavage des cases est cependant prévu, mais il est laissé à l'initiative d'un condamné, gardien de case. Celui‑ci, par les journées les plus pluvieuses de l'hivernage, lave à grande eau sur le plancher qui, pendant six mois de saison sèche, n'est jamais lavé. Des années se succèdent sans que les cases soient blanchies à la chaux. Les punaises s'allient aux moustiques et le condamné passe de longues heures d'insomnie dans ce lieu surchauffé, saturé, empesté par le tabac, les lumignons fumigineux et l'odeur alcaline des tinettes."
Percée dans le mur d'enceinte (un mur de pierres peintes en blanc, haut de 5 m), une porte de fer, dont le surveillant de ronde possédait seul la clé, permettait de communiquer avec le quartier disciplinaire.
A l'intérieur du quartier, quatre cases collectives appelées «blockhaus». Deux bat-flancs couraient le long des murs. C'étaient les salles de police où venaient dormir les bagnards condamnés pour de petits manquements aux règlements.
Ils y étaient enfermés sans lumière de 18 h le soir à 6 h du matin. Allongés sur des bat-flancs en ciment, les pieds enchaînés à la barre de justice. Ils ne pouvaient se lever la nuit même pour aller aux toilettes, malades ou non. Vous pouvez imaginer l'état de saleté de ces bat-flancs au matin.
Au fond, les toilettes, appelées aussi "la chambre d'amour", je vous laisse deviner pour quelles raisons.
Mais certains arrivaient quand même à se libérer de leurs fers :
Charles Péan, enseigne dans l'Armée du salut :
«Personne ne peut s'imaginer les drames qui se passent la nuit, entre ces malheureux ; mais au matin, lorsque les surveillants, qui ne surveillent que pendant la journée, viennent ouvrir les portes cadenassées, il leur arrive souvent de trouver un cadavre avec un couteau entre les épaules ou le ventre ouvert. Presque toujours, c'est un jeune bagnard, nouvellement arrivé, qui a refusé de céder... »
Tableau de Francis Lagrange : règlement de compte
De part et d'autre de la cour intérieure, se trouvaient les rangées de cellules de 2 m de longueur sur 1,80 m de largeur. Le plafond, voûté, était très haut. Entre ce plafond et le toit, un espace de 80 cm permettait une aération et diminuait légèrement la température des cellules.
maison des surveillants
Les portes, épaisses de 8 cm, étaient en bois plein, surmontées d'un soupirail muni de barreaux, qui donnait un peu d'air et de lumière. Un bat-flanc fixe occupait presque la moitié de l'espace. Pour tempérer les ardeurs du soleil, des cloîtres avaient été aménagés devant les deux rangées de cellules. Intérieur et extérieur de celles-ci étaient peints en blanc. Le sable de la cour était de même couleur. Cela occasionnait une réverbération importante qui blessait les yeux.
Sur les murs des cellules, subsistent encore certaines inscriptions comme ci-dessous où l'on peut lire "Papillon" :
Ou encore "adieu maman", écrit par un condamné à mort :
Au fond de la cour, la maison où était conduit le condamné à mort avant son exécution. Il avait le droit à bon repas sortant de l'ordinaire, accompagné d'un litre de vin rouge et d'un paquet de cigarettes.
Devant cette maison, on aperçoit le socle en ciment où s'élevait la guillotine.
Des maladies frappent la population pénitentiaire :
La lèpre, introduite il y a deux ou trois cents ans par les esclaves venus de la côte d'Afrique, s'implanta dans le pays pour ne plus le quitter…
«Comme le milieu pénal est assez fermé, la lèpre n'y apparut qu'assez tard, mais quand elle s'y installa elle ne fit que s'étendre. Les deux premiers condamnés lépreux furent signalés en 1883. En 1915, il y en avait 73, et depuis, malgré les morts et les évasions, ce nombre se maintint si bien qu'un médecin a pu dire, avec raison, que la France avait réalisé par la transportation de ses condamnés la plus vaste et la plus irréprochable des expériences sur la contagiosité de la lèpre.
Les condamnés lépreux sont isolés dans un îlot du Maroni : l'île Saint-Louis...
... Comme ils n'y sont ni traités ni surveillés et qu'ils ont mille commodités pour s'évader, ils partent pour ne plus revenir. Seuls, ceux qui ont des mutilations trop apparentes ou le faciès trop léonin restent dans l'île.»
Pour les ravitailler et leur donner quelques médicaments, une pirogue abordait l'île sur cette plage. Les ballots de vivre étaient lancés sur le sable, et les bagnards devaient attendre le départ de la pirogue avant de venir les récupérer.
Le 17 juin 1938, un décret-loi met fin au bagne. En 1946 ce dernier est définitivement fermé, et c’est en août 1953 que les 132 derniers condamnés quittent cette terre de la grande punition.
La statue "La Peine du Bagnard" de Bertrand Piéchaud (né à Bordeaux en 1941) se dresse là où débarquaient les condamnés en provenance de Saint-Martin-de-Ré.
A la fermeture du Bagne, le Camp de la Transportation, parfaitement entretenu jusqu'alors par les forçats, est progressivement abandonné. D'abord pillé pour récupérer les matériaux, les bâtiments sont vendus puis envahis par la végétation luxuriante.
Entièrement acheté par la commune de Saint-Laurent du Maroni et nettoyé par l'armée en 1990, l'ensemble a retrouvé sa composition. Certaines constructions ont été classées parmi les monuments historiques dès 1987. La totalité du Camp de la Transportation est enfin classée en 1994.