Mexique : le déclin des cités mayas
Le déclin des cités mayas n'a pas été brutal, mais s'est étalé sur plusieurs siècles et s'est propagé progressivement à plusieurs régions, entraînant la mort des «cités perdues des Mayas» et la disparition d'un système politique propre à la civilisation classique, celui de la royauté sacrée, ainsi que des monuments et des institutions qui l'accompagnaient.
La civilisation maya, c'est une montée en puissance entre les années 300 et 500 de notre ère, une période de stabilisation entre 500 et 600, puis une période "frénétique" de constructions entre 600 et 900 après JC. Enfin un déclin progressif jusqu'à l'an 1100 environ, et ensuite… l'oubli.
Le phénomène a d'abord touché la région du Petexbatun (lac situé dans le département du Petén, au nord du Guatemala) au milieu de VIIIe siècle, puis de proche en proche, d'autres régions des Basses-Terres. Alors que certaines régions connaissent un déclin, les derniers siècles de la période classique (300/900 après JC) voient l'épanouissement des cités du Yucatan, qui s'éteignent elles-mêmes au XIe siècle. Dans certaines régions périphériques, comme l'actuel Belize et l'est du Yucatan, des cités échappent à l'effondrement jusqu'à la colonisation espagnole des Amériques.
Aucune cause en particulier ne saurait expliquer ce déclin. Et comme pour beaucoup de civilisations, c'est un ensemble de facteurs découlant les uns des autres qui aboutissent au déclin. Dans certaines régions, c’est la guerre qui a provoqué l’abandon du site, tandis que, dans d’autres, les facteurs écologiques comme le déboisement ou la sécheresse ont joué un rôle de premier plan.
La meilleure définition est de parler de déclin rapide d'un système politique particulier de "cités-états", dominées par les "K'uhul Ajaw" ou "Divins Seigneurs", et avec lui de tous les rites funéraires et religieux.
La concentration de l'autorité politique et religieuse dans les mains de souverains chamaniques des états a été un trait caractéristique de la civilisation maya. Avec un pouvoir essentiellement centré sur les représentations rituelles et la guerre entre centres urbains, les "Divins Seigneurs" jouissaient d'une autorité et d'un pouvoir considérables, mais fondés davantage sur l'idéologie que sur l'économie. Malgré quelques alliances temporaires, aucune cité ne parvint à concentrer sa population et à centraliser son économie. Chaque cité était trop autonome pour avoir une vue d'ensemble de l'intérêt général.
Pour les "Divins Seigneurs", il était essentiel de montrer leur force par des investissements massifs dans l'architecture, par le faste des cérémonies religieuses et autres évènements rituels. Pour réaliser leurs ambitions, il fallait davantage de fêtes, davantage de constructions, davantage de guerres.
Fresque du temple de Bonampak, Musée anthropologique de Mexico
Mais ces activités faisaient peser un poids sans cesse croissant sur les populations. Il y avait une course au prestige qui mobilisait et épuisait les énergies, et les populations rurales, excédées par le poids croissant des élites et de la théocratie, auraient fini par se révolter. Dans beaucoup de cités, ce sont les élites qui disparaissent en premier.
Fresque du temple de Bonampak, Musée anthopologique de Mexico
Dans certaines régions du territoire maya, ce fut le déclin accéléré de l'organisation sociopolitique accompagné d'un état de guerre endémique et d'une réduction drastique de la population. Les conflits fréquents entre cités entraînèrent une "balkanisation" de la région, c'est-à-dire des déplacements de populations de réfugiés, comme de nos jours récemment en Yougoslavie et en Somalie, avec les conséquences que l'on connaît : famine, maladies, épidémies, conflits larvés, déstabilisation des états périphériques. A partir de 830 environ, Tikal (l'une des plus grandes cités des Basses-Terres) perdit 90 % de sa population en moins de deux générations.
Pour Richard Hansen (ethnologue de l'université de l'Idaho), "un effondrement est toujours causé par plusieurs facteurs. Mais la particularité d'un tel effondrement est que la population, une fois qu'elle a quitté les centres urbains, n'y revient pas. Cette absence de toute réinstallation ne peut être le fait que d'une dégradation de l'environnement : les gens ne reviennent pas simplement parce qu'ils ne le peuvent pas. Aujourd'hui, si personne ne retourne vivre à Tchernobyl, c'est parce que l'environnement ne le permet pas."
La nécessité probable d'une croissance démographique pour soutenir les efforts de guerre entraîne l'intensification de la production agricole et la dégradation progressive de l'environnement : davantage de cultures sur brûlis, destructions de forêts pour le bois de construction et la fabrication de la chaux, tout cela peut conduire à une modification du climat.
Mais les archéologues pensent que ce qui a suscité la déforestation n'est pas l'agriculture, mais plutôt la production de stuc. A mesure que les siècles passaient, les parements de stuc qui recouvraient les murs des monuments, des maisons, le pavement des chaussées (scabé), s'épaississaient.
Tous les "katuns" (cycle de 20 années environ), le parement des monuments devait être refait. Les signes ostentatoires de richesse et de pouvoir de la classe dirigeante se payaient en stuc. Donc en arbres. Car cet enduit, qui permettait de recouvrir les maçonneries grossières, s'obtenait au prix d'un long chauffage du calcaire, très coûteux en bois.
Un défrichage de grande ampleur aurait donc endommagé quasi irréversiblement l'environnement de la région, entraînant des glissements de terrains recouvrant les terres fertiles et ruinant ainsi le système agricole qui assurait aux populations leur prospérité.
La déforestation massive pratiquée au cours de la période classique a sans doute eu d'autres répercussions, en particulier sur les pluies (d'où l'importance du dieu de la pluie Chaak à Uxmal et Chichen Itza). Les climatologues savent aujourd'hui que l'absence de végétation peut entraver les précipitations.
Des analyses de carottes sédimentaires ont montré qu'entre 760 et 910, quatre vagues de sécheresse de trois à neuf ans chacune ont frappé de vastes zones de l'aire maya. Or dans un système politico-religieux où le roi est le garant de la clémence des éléments, ces calamités à répétition ont peut-être déstabilisé les élites et engendré des troubles politiques.
On retrouve dans la civilisation maya les mêmes "ingrédients" qui ont conduit à la chute de l'Empire Khmer à Angkor : guerres, crise religieuse, déforestation, sécheresse. Voir l'article :
Ci-dessous, le Ta Prohm à Angkor (Cambodge), pris dans les racines d'un fromager (le ceiba). On pourrait reprendre, pour les cités mayas, ces phrases de Roland Dorgelès écrites dans "la Route Mandarine" :
"Ce fut jadis le cœur d'un somptueux royaume… Puis, après des siècles de splendeur, la débâcle est venue, les invasions, les épidémies, les révoltes, et il n'est plus rien resté que la forêt, l'opiniâtre, l'indomptable forêt, qui s'est lentement rapprochée, a comblé les douves, escaladé les remparts, envahi les avenues, et s'est acharnée pendant huit siècles sur les temples et les palais, crevant les murs de ses troncs puissants, recouvrant les bas-reliefs de ses lichens, éventrant de ses racines les terrasses…"
Comme dans les cités d'Angkor, L'Arbre Sacré des Mayas, le ceiba (le fromager), est venu à bout des temples et des cités. Le ceiba, qui pénètre le monde souterrain par les racines est supposé faire la connexion entre le monde et l'infra monde. Ces branches représentent les treize Dieux cosmiques, et les racines les neuf Dieux de l'inframonde. Quand les Mayas meurent, leurs esprits passent par l'inframonde avant de remonter au ciel.
Sources :
Arthur Demarest : "Les Mayas, grandeur et chute d'une civilisation".
Anthropologue américain, spécialiste des Mayas, professeur à l'université Venderbilt, Tennessee (États-Unis). Il dirige depuis le début des années 1980, des fouilles archéologiques sur les anciens sites des hauts plateaux, des côtes et des forêts humides de l'Amérique centrale.
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