L'Approuague (3) : orpaillage illégal en Guyane
La première rencontre avec des êtres animés, après environ une heure de navigation sur l'Approuague, c'est cette pirogue pleine de légionnaires. Un camp d'entraînement de la Légion, le CEFE du 3è REI (Régiment Etranger d'Infanterie), est établi en bordure de l'Approuague.
Son objectif est de former les militaires aptes à se déplacer, à vivre et survivre en jungle, et à commander des hommes dans la conduite d'actions de combat de haute intensité. C'est un des stages les plus difficiles car il se déroule intégralement en forêt pendant toute sa durée. Il est ouvert à toutes les armées du monde.
D'autres rencontres sont un peu plus surprenantes pour qui vient de la métropole. Au détour d'un coude du fleuve, au passage d'un saut, une pirogue semblait être en difficulté. Prendre quelques photos en cet instant devient un réflexe. Mais lorsque les piroguiers en difficulté ont aperçu les appareils photos, ils sont devenus très menaçants. On a vite compris qu'il fallait ranger les appareils, si on ne voulait pas qu'ils s'en prennent à notre pirogue. Vu le contexte, certaines photos sont un peu floues ou mal cadrées.
Explications : C’est en juillet 1855 qu’un Amérindien d’origine brésilienne, Paoline, découvrit une quantité importante d’or dans la région de l’Approuague. C'est à ce moment qu'une fièvre de l'or, comparable à celle de Californie, déferla sur la région de l'Approuague. Pour pénétrer à l'intérieur de la Guyane, les pirogues d'orpailleurs illégaux venus du Brésil, passent par la mer et remontent le fleuve.
Longues d'une vingtaines de mètres, elles peuvent transporter jusqu'à 15 tonnes de matériel : vivres, bidons d'essence, moteur pour les pompes d'extraction… Les exploitations illégales des sites d'orpaillage sont la source d’un énorme trafic de carburant, de nourriture, de matériel en tout genre et d’humains entre le Brésil et la Guyane française. De plus, les Amérindiens, les habitants au bord du fleuve et les responsables des camps touristiques, se plaignent de l’insécurité et des vols réguliers de pirogues et moteurs.
Les activités sur les sites d'orpaillage et le trafic sur le fleuve engendrent l’exploitation de mains d’œuvre travaillant dans des conditions misérables, exposés à la violence (règlements de compte, prostitution…) et à la maladie (dengue, paludisme, fièvre jaune, leishmaniose, sida).
Quant à l'utilisation du mercure (qui sert à amalgamer l'or), un simple alambic permettrait d'en récupérer une grande partie pour le réutiliser. Dans le cas de l'orpaillage illégal, l'opération se fait au chalumeau et à l'air libre. Les vapeurs de mercure sont alors inhalées par les orpailleurs et surtout libérées dans l'environnement proche. Les chercheurs d'or utilisent 1,3 kg de mercure pour produire 1 kg d'or. Au moins 10 tonnes de mercure sont rejetées chaque année dans l'environnement. Les orpailleurs brésiliens, employés dans des conditions proches de l'esclavage, sont les premières victimes des vapeurs de mercure.
L'interdiction par arrêté préfectoral (8 juin 2004) de l'utilisation du mercure à partir de 2006 ne résout qu'une partie du problème : selon les experts, toute érosion des sols à travers l'activité minière, les routes, les barrages, favorise la remise en suspension du mercure piégé dans les sols et sa transformation dans la forme la plus toxique : le méthylmercure.
Mais c'est aussi une destruction organisée de la forêt guyanaise :
- Par une déforestation qui résulte du remaniement des sols, par l’utilisation du mercure et le lessivage de la terre qui entraîne vers les fleuves tous les produits toxiques utilisés (mercure, cyanure). De 2000 à 2005, les déboisements des orpailleurs sont passés de 4.000 à près de 11.500 hectares.
- Par la trop grande pratique de la chasse pour approvisionner ces communautés d’humains.
- La faune aquatique aussi est touchée : absorbé par les poissons, le mercure se retrouve dans les assiettes des habitants du fleuve, et déjà de nombreuses intoxications au mercure ont été décelées. Oublié aussi que l'eau de nombreuses rivières de Guyane est utilisée par les Amérindiens et autres habitants des forêts comme eau potable, pour la toilette, le lavage et la cuisson des aliments.
Pirogue de clandestins surgargée passant difficilement le saut
La production déclarée par les orpailleurs légaux est de 2,693 tonnes déclarées en 2006 soit environ 0,1 % de la production mondiale. Officiellement, 149 permis d'exploitation sont en cours.
S'agissant de la quantité illégalement extraite, les estimations les plus réalistes donnent un chiffre entre sept et dix tonnes. Elle est exfiltrée vers les comptoirs frontaliers du Brésil principalement et du Surinam. En 2003, 3,2 tonnes d'or ont été déclarées à la Direction régionale de l'industrie mais 6 tonnes ont été exportées, selon les douanes.
A l’heure actuelle, l’or produit illégalement en Guyane peut aisément intégrer la filière française légale avant l’expédition vers la métropole. Ainsi, entre 2000 et 2008, plus de 22 tonnes d’or exportées de Guyane avaient une origine douteuse.
Que fait l'Etat diriez-vous ? Deux séries d'opérations ont été montées :
l'opération Anaconda et l'opération Harpie.
En 2005, le bilan des opérations Anaconda est le suivant :
107 opérations (22 en 2002, 37 en 2003 et 73 en 2004),
1252 étrangers en situation irrégulière interpellés, destruction de 300 motos-pompes, 80 groupes électrogènes, 130 pirogues et 30 véhicules.
Le dispositif « Harpie 2 », appelé aussi « Harpie renforcé » a été mis en place à la mi-avril 2009, avec 450 hommes venus en renfort (120 gendarmes et 330 militaires), qui se sont ajoutés aux 500 hommes déjà engagés dans la lutte contre l’orpaillage clandestin.
Le bilan officiel de « Harpie 2 » fait état de 284 opérations menées (avril-octobre) au cours desquelles ont été détruits ou saisis 153 pirogues et 118 quads, 2400 carbets, 187 tonnes de nourriture, 137 mille litres de carburants, 70 kg de mercure et 5 kg d’or. Par ailleurs, 1.432 clandestins ont été appréhendés.
Voir le site du ministère de la défense sur la lutte contre l'orpaillage clandestin :
http://www.defense.gouv.fr/defense/webtv/les_operations/lutte_contre_l_orpaillage_en_guyane
Mais actuellement, l'opération Harpie est mise en veille pour ménager la susceptibilité du gouvernement Brésilien.
Sur une chronique de Gérard Police concernant l'opération Harpie :
Malgré le courage des militaires engagés dans ces opérations et le peu de moyens qui leur sont donnés, ces opérations ne répondent pas à la situation. Au total 700 gendarmes, et un seul hélicoptère, pour surveiller 730 km de frontière avec le Brésil, 520 km avec le Surinam, et 95% de forêt inaccessible par la route, bref, un territoire grand comme le Portugal.
Les militaires (les légionnaires) ne disposent d'aucun pouvoir de police et n'ont pas le droit, selon la loi, d'intervenir. Seulement de "renseigner".
Pourtant, ces opérations ne sont pas sans risque, comme le témoigne le document ci-dessous (source blada.com, le marron -Petit Journal de Kourou- rubrique "Chroniques") :
Requiem pour un adjudant
par Michel Redon
Substitut du procureur de la République en Guyane jusqu'en janvier 2005
et notamment chargé des opérations Anaconda
"Quelque part en Guyane, sur la Mana à Saut-Sabbat, un coin que je connais bien, un adjudant de la gendarmerie nationale est mort noyé après avoir été précipité à l’eau par l’homme qu’il venait d’arrêter… un gendarme, père de famille, arrivé en Guyane depuis peu, quelques mois à peine après que j’eus moi-même quitté ce département si lointain de la France d’Amérique du Sud.
Un homme que je ne connaissais pas. Il était en opération de police judiciaire, comme nous en ordonnons chaque jour, en lutte contre l’orpaillage clandestin qui détruit et ruine cette partie de la forêt amazonienne dont la République a la charge. A peine un article d’un correspondant local dans un grand quotidien du soir, et pratiquement rien d’autre… Pas de une dans les journaux télévisés, rien dans la plupart des autres quotidiens français, ni de déclaration officielle. Il était pourtant en service. Depuis trois jours je scrute la presse sur le net : rien. Une mort sans importance, inaperçue. Je reçois quelques messages, on sait mon attachement à la Guyane, la nouvelle court de mail en mail et tous me disent leur solidarité et leur colère, voire leur écœurement.
On venait il y a peu de métropole voir les opérations Anaconda et nos gendarmes sur le terrain dans la forêt vierge et la boue, tenter d’éradiquer l’orpaillage illégal, la prostitution et les règlements de comptes. Il y avait souvent avec eux le substitut du procureur de Cayenne que j’étais jusqu’il y a quelques mois. Je savais pour les avoir partagés, que ces moments d’action étaient parfois placés sous le signe du risque maximum. Pirogues de gendarmerie éperonnées, tirs sur notre hélicoptère, menaces de mort… Ils faisaient malgré tout leur boulot, parce que c’était leur devoir et qu’ils croyaient que c’était pour le bien de la justice dans un pays qu’ils aimaient. D’un pays et d’un peuple que nous aimons même après les avoir quittés. Rien de ce qui est guyanais ne peut plus nous être indifférent. Et surtout pas la mort injuste d’un combattant de la loi.
L’Anaconda est en deuil".
Michel REDON
Janvier 2006
Pour une vision plus "moderne" de cet article, vous accédez à une vidéo édifiante faite par le WWF en cliquant sur leur logo ci-dessous :