L'Approuague (2) : Camp Athanase
En partant de Régina, après une navigation d'environ une heure trente, on arrive en vue du Campement Athanase. Plusieurs "carbets bungalows" avec vue sur le fleuve, vous accueillent. Pas de salle d'eau "privative" : ils ne servent que pour passer une bonne nuit, bercé par les bruissements de la forêt et le chant du fleuve. Au choix, vous pourrez y dormir dans un hamac ou dans un lit. Plus loin, un carbet-dortoir où sont attachés une quinzaine de hamacs.
Régina : la rue principale
Un bloc sanitaire, rare en forêt, et d'une extrême propreté, est construit à l'écart des bungalows. Le tout est complété par un carbet qui fait office de salle de rencontre et d'un autre ensemble comprenant la salle à manger et la cuisine. A conseiller pour une première approche de "l'enfer vert" de la Guyane : on est encore proche de la civilisation avec électricité et eau courante. Ci-dessous, les photos du Camp accompagnées d'une légende amazonienne.
Makali et l'Anaconda
De nombreuses légendes des Indiens Wayanas mettent en scène l'anaconda, considéré comme un animal sacré, l'ancêtre de tous les hommes.
Une fille nommée Makali venait d'entrer dans l'âge adulte. Ses parents décidèrent de lui faire passer l'épreuve du maraké (épreuve initiatique du passage de l'enfance à l'adolescence chez les Indiens Wayanas).
‑ Cette épreuve est la plus importante de la vie d'une jeune fille Wayana, lui dit sa mère. Tu devras subir la piqûre des fourmis ilaks (fourmi flamme à la piqûre très douloureuse), puis tu resteras enfermée pendant cinq jours sans boire ni manger.
Makali avait déjà assisté à l'épreuve. Elle avait lu la souffrance sur le visage de ses aînées, quand les crochets et les dards des fourmis lacèrent la peau. Elle les avait vues s'évanouir à cause des piqûres cuisantes. Elle se souvenait d'Akaïwaïpin, qui ne s'était réveillée qu'après quatre jours de fièvre...
Malgré cela, elle avait hâte que le jour du maraké arrive, à cause des danses, des fêtes, des jeux et des cérémonies qui l'accompagnaient.
La veille de l'épreuve, sa mère lui coupa les cheveux. Le village dansa toute la nuit. Makali eut un sommeil agité. Dans ses rêves, un gigantesque anaconda entrait sous son carbet et se glissait dans son hamac. Ce cauchemar se répéta trois fois dans la nuit, la réveillant en sursaut.
À l'aube, son grand-père entonna un chant kalau :
‑ Kayayamanané !
Le carbet "dortoir"
Makali frissonna, l'épreuve allait commencer. Elle se dirigea vers la place de la cérémonie. Sa grand-mère lui enleva ses colliers de perles et de dents. Elle l'encouragea d'une parole gentille. Puis le chef du village appliqua contre sa peau la veste kunana dans les mailles de laquelle se trouvait emprisonnée une cinquantaine de fourmis ilaks.
La douleur immédiate fut insupportable, mais Malaki ne broncha pas.
Carbets individuels. Au fond, salle à manger et cuisine.
Vers le milieu de la nuit, une ombre gigantesque se faufila sous le toit de palmes. Une voix douce la réveilla :
‑ Qui es-tu ? demanda Malaki effrayée.
‑ N'aie pas peur, Malaki. Je viens du village voisin et je vais te réconforter.
Dans la pénombre, Malaki entrevit un garçon d'une très grande beauté. De toute sa personne rayonnait un charme sans pareil. Elle posa la main sur son cœur pour en contenir l'affolement.
‑ Je peux rester avec toi ? lui demanda le garçon.
Ils passèrent donc la nuit ensemble.
Le carbet "bar-salle de réunion"
À l'aube, le père de Malaki s'approcha du carbet de sa fille. Il lui demanda :
‑ J'ai entendu des voix, cette nuit. Tu n'étais pas seule, sous ton carbet ?
‑ Tu te trompes, j'étais bien seule, lui rétorqua Malaki d'une voix tremblante.
‑ Tu en es sûre ? Insista son père.
‑ Tu as peut-être entendu le bruit des tatous qui grattent la terre près de la rivière.
Le père tourna les talons, mais il n'était pas dupe !
La nuit suivante, Malaki reçut de nouveau la visite du garçon.
À l'aube, ses parents se présentèrent à l'entrée de son carbet.
‑ Dis-moi avec qui tu as passé la nuit, se fâcha son père.
Makali ne put mentir plus longtemps :
‑ C'est un garçon du village voisin...
‑ Comment s'appelle-t-il ? lui demanda sa mère.
‑ Il ne m'a pas dit son nom.
Le bloc sanitaires
Au coucher du soleil, voulant en apprendre plus long sur ce garçon effronté, les parents de Makali s'installèrent près du carbet de leur fille.
Au milieu de la nuit, un gigantesque anaconda sortit de la forêt et se dirigea lentement vers le carbet. Sous le regard ébahi des parents, il glissa ses anneaux dans le hamac de Makali.
Carbet individuel au bord du fleuve
Le père de la jeune fille comprit aussitôt ce qui s'était passé. L'anaconda possède la magie, et pour tromper leur fille, il s'était transformé à ses yeux en un charmant jeune homme.
Le reptile prit sa voix humaine :
‑ Tes parents ne se doutent de rien ?
Makali n'eut pas le temps de lui répondre. Son père surgit, armé de son arc. Il cribla aussi sec le serpent de ses flèches.
Le ventre de Makali grossit au fil des mois. Un soir, elle donna naissance à une dizaine de petits anacondas. Puis elle mourut peu de temps après.
Craignant d'être tués par l'homme qui avait assassiné leur père, les serpenteaux s'enfoncèrent dans les eaux tumultueuses de la rivière.
On raconte que c'est depuis ce jour-là que l'homme et l'anaconda sont devenus des ennemis.
Yves-Marie Clément
L'auteur est né en 1959 à Fécamp en Normandie. Après des études universitaires à Rouen, il devient enseignant et découvre le monde en compagnie de sa femme. Après l'Europe, l'Afrique, la Chine, c'est en Guyane française qu'ils décident de poser leurs valises en 1989. Il vient de rentrer en France métropolitaine où il s'est installé à Privas, en Ardèche.
Ciel d'orage sur l'Amazonie :