Guyane : les Peuples du Fleuve
En Guyane française, les Noirs marrons sont aujourd’hui considérés (avec les Amérindiens) comme les «Hommes du Fleuve».
Aujourd'hui, on s'intéresse particulièrement à deux ethnies, car elles ont eu une histoire particulièrement mouvementée : les Alukus ou Bonis (du nom de leur premier chef coutumier) et les Ndjukas.
Pour faire simple, on peut dire que la fraction la plus importante et la plus anciennement occupée du territoire traditionnel des Bonis est située sur la partie du Maroni connue sous le nom de Lawa ou l'Alawa (en orange sur la carte), entre Maripasoula et Grand-Santi. A ce territoire, on ajoutera le village d'Apatou plus en aval.
Quant aux Ndjukas, au contraire des Bonis, leurs «grands villages» ne se trouvent pas sur la rive française du Maroni mais sur le cours de l’un de ses affluents côté Surinam, le Tapanahony. Ils n’ont sur la rive droite que des campements. Cependant des groupes de plus en plus nombreux vivent sur la rive française du Maroni dans la région de Grand-Santi-Providence.
Des facteurs historiques ont contribué à approfondir la distance entre Bonis et Ndjukas. Petit rappel historique pour mieux comprendre ce qui les oppose :
En 1760, les Ndjukas signent un traité de paix avec les Néerlandais, dans lequel l'un des articles leur demande de servir comme force militaire contre ceux des Marrons qui, comme les Bonis, restent hostiles au gouvernement colonial.
En 1791, les Ndjukas, pour se concilier les Hollandais, leur livrent tous les Bonis qui se trouvent parmi eux. Un traité place les Boni sous la tutelle des Ndjukas qui s'engagent à les empêcher de se déplacer librement sur les rivières et le territoire de la colonie.
En 1793, une troupe de 70 Ndjukas découvre les villages Bonis sur le Maroni. Le Chef Boni, surpris, est tué au cours d'un raid éclair.
En 1815, les Bonis s'installent sur le Lawa. Ils se résignent avec amertume à être annexés par les Ndjukas, numériquement supérieurs, et à être ainsi réduits en tant que vassaux à un état de totale dépendance. Ils doivent s'engager à ne pas descendre le Maroni en aval de leurs villages et à ne commercer avec la région côtière que par l'intermédiaire des Ndjukas, qui leur fournissent des produits manufacturés en échange de canots.
En 1855, l'administration française décide d'ouvrir le fleuve et de libérer les Bonis de la tutelle des Ndjukas.
En 1860, a lieu une conférence franco-hollandaise à Albina : les fonctionnaires français et hollandais proclament la liberté des Bonis vis-à-vis des Ndjukas.
En 1890 lorsque le Lawa fut reconnu comme frontière officielle entre les Guyane hollandaise et française, les Bonis choisirent de vivre sous l'autorité française. En traversant le Maroni pour se réfugier en Guyane française, les Bonis choisirent ainsi un parcours politique différent de celui suivi par tous les autres groupes marrons.
La départementalisation en 1946, puis la création des communes en 1969, a transformé leur statut en citoyens de nationalité française.
De nombreux Bonis sont embauchés, comme conducteurs d'embarcations fluviales (piroguiers) par l'armée de terre, au sein du 9e RIMa.
Aujourd'hui, les Bonis gardent toujours un souvenir aigu de leur inimitié passée avec les Ndjukas. La tradition orale boni est pleine de références aux injustices commises contre eux par les Ndjukas tout au long de ces années.
Si des spécificités marquent chaque ethnie, quelques grandes dominantes sont communes. Toutes sont dirigées par un chef coutumier, le Grand Man, garant de la permanence des rites, juge suprême et médiateur dans les conflits. Son pouvoir est reconnu par les autorités de tutelles. Il est assisté par les "Capitaines", organisés en "Conseil" et qui font régner l’ordre dans les villages.
Le grand chef coutumier (grand man) rassemble les pouvoirs politiques et religieux. (Leur religion est basée sur le culte des ancêtres).
Avec la création de communes, la structure française s'est appliquée sur la vie sociale des Bonis, et on voit coexister deux systèmes de fonctionnement :
D'un côté, les Grand Man et Capitaine (chef d'un village),
D'un autre le maire (qui est souvent le Capitaine) et les conseillers municipaux.
Bien qu'il y ait plusieurs dialectes sur le fleuve, le "taki-taki" (qui veut littéralement dire "faire du bruit, bavarder") est la langue couramment utilisée sur le Maroni.
Leur structure sociale est basée sur un système matrilinéaire. La filiation se fait par les femmes et, en théorie, chacun, homme ou femme, continue à vivre toute sa vie dans son village maternel. Dès qu’un homme a atteint l’âge adulte, il se construit une maison dans son village natal. Lorsqu’un mariage est décidé, l’homme doit construire une maison pour sa future épouse dans le village maternel de celle-ci. Elle y vivra avec ses enfants et c'est elle qui se chargera de leur éducation.
Les Bonis possèdent fréquemment plusieurs lieux d'habitations : village traditionnel lié au matrilignage, habitations de culture, lieux de travail saisonnier pour les hommes, lieu de résidence administrative où les enfants sont scolarisés.
Tous les villages noir-marron sont construits en bordure de rivière, les seules voies de communication étant le fleuve et ses affluents.
Les Bonis pratiquent une agriculture itinérante sur brûlis où le manioc amer tient une place prépondérante. Les femmes le transforment en une farine torréfiée, le couac, qui est à la base de l'alimentation. Cette farine peut se conserver très longtemps au sec.
Ci-dessous, le premier campement sur le territoire du Surimame (carré jaune sur la carte) :
Les moustiquaires au-dessus des hamacs servent à nous protéger davantage des chauves-souris que des moustiques assez peu nombreux le long du fleuve. La morsure des chauves-souris est indolore mais celles-ci injectent une substance anticoagulante et la plaie saigne abondamment. D'autre part, certaines chauves-souris sont porteuses du virus de la rage.
Pirogues lourdement chargées remontant le Maroni :