Cambodge : Angkor Thom
Les textes en italique de l'article sont extraits du livre de Roland Dorgelès : "La route Mandarine", écrit en 1925.
"… On voit grandir, coupant la route, une porte monumentale. Angkor Thom, la ville royale ! Jamais je n'oublierai ce sourire de pierre qui m'accueillit, à l'instant de franchir l'enceinte. Une tour grise que le temps a fendue, et dominant la voûte étroite, quatre visages humains couronnés de lotus, qui sourient aux quatre vents du ciel..."
Lorsque Jayavarman VII décide de créer Angkor Thom à la fin du XIIè siècle, il fait entourer la ville d'une haute muraille pour se prémunir d'une nouvelle attaque des troupes du Champa. Il est aussi possible que ce mur ait été bâti en fonction du Bayon (son temple d'état) dont il constituerait la quatrième enceinte.
Le mur, de 8 mètres de hauteur, qui entoure Angkor Thom (Traduction : la Grande Ville), la dernière capitale de l'Empire Khmer, forme un carré de 3 km de côté délimitant une surface de 900 ha. Elle accueillait en ses murs la cour du roi, les prêtes et les hauts fonctionnaires. On estime à un million de personnes la population qui vivait en dehors des fortifications. Angkor Thom restera capitale jusqu'au XVIIè siècle.
Le vaste quadrilatère d'Angkor Thom est partagé par deux axes, Nord-Sud et Est-Ouest, sur lesquels se situent quatre portes, plus une porte supplémentaire sur le côté Est qui conduit au palais royal. A la rencontre des deux axes, se trouve le grand Temple du Bayon. Des douves de 100 m de large et profondes de 5 à 6 mètres par endroits, entourent les 12 km de muraille.
On peut pénétrer dans Angkor Thom par cinq portes de conception identique. Quatre sont axées sur le Temple du Bayon :
On nomme ces portes : Porte Sud, Porte Nord, Porte Ouest, Porte Est, appelée aussi Porte des Morts. La cinquième entrée, à l'Est, axée sur le centre de la terrasse du Palais royal, est la Porte de la Victoire.
Chacune des cinq portes est surmontée d'une structure en forme de tour constitué de quatre visages. La tour médiane, la plus haute, domine le sol à près de 23 mètres. Les deux massifs de grès qui flanquent la tour centrale, moins hauts, sont couverts chacun par une tour à un seul visage.
On atteint la Porte Sud en franchissant les douves sur une digue large de 16 m, longue de 108 m et haute de près de 6 m. Sur la partie supérieure des murs de la digue, une margelle de grès supporte des géants de pierre de 2 m de hauteur tenant dans leurs bras le serpent nâga. Celui-ci dresse son capuchon et ses sept têtes à 4 m du sol, à l'entrée de la chaussée.
"De chaque côté de la chaussée, des géants de pierre soutiennent le nâga, le monstrueux serpent aux sept têtes en éventail. Des membres, des torses, attendent encore dans le fossé, débris épars d'un puzzle formidable..."
Les 54 géants du côté droit de la chaussée ont les traits accusés, les sourcils froncés, la bouche aux lèvres tombantes, les yeux ronds et globuleux, ce sont des démons (les Asura). Ceux du côté gauche, 54 également, ont les traits sereins, le front ceint d'un diadème surmonté d'une tiare conique, ce sont les dieux bienfaisants (les Deva). La plupart des têtes ont été remplacées par des moulages. Les 54 Deva et les 54 Asura forment le nombre sacré de 108 protecteurs de la cité.
A l'intérieur de cette enceinte, de nombreux temples ou prasat.
Le Baphuon ci-dessous, construit en 1060, bien avant Angkor Thom, était un temple montagne de dimensions exceptionnelles, autrefois comparé à une montagne d'or. Le poids des galeries, des tours d'angles et des gopura d'entrées étant si énorme que le temple a fini par s'écrouler. Les Khmers n'avaient pas à l'époque les compétences techniques nécessaires pour ce genre de constructions monumentales.
Ci-dessous, le gopura (l'entrée) du Palais Royal vue de la Terrasse des Eléphants.
D'une superficie de 14 hectares, il est entouré par une douve et un mur d'enceinte en latérite de 5 mètres de haut. Le palais était divisé en quartier, mais les habitations construites en bois sur des soubassements en pierre ont toutes disparues. Avec le bassin réservé aux concubines du roi ci-dessous, il ne reste que le Phiméanakas.
Le Phiméannakas, est petit temple de forme pyramidale de 12 mètres de haut. Son nom voudrait dire "Palais des dieux". Les quatre escaliers axiaux qui mènent au sommet ont une pente raide de l'ordre de soixante degrés. Au dire d'un ambassadeur chinois de l'époque, ce palais, dont la coupole était en or, servait d'écrin à l'union du souverain et d'une nagani, créature mi-femme mi-serpent. Le roi devait s'étendre à ses côtés toutes les nuits avant de rejoindre ses épouses, faute de quoi le malheur s'abattrait sur le royaume. Cette croyance remonte à la naissance du Founan, l'ancien Cambodge (voir l'article "Il était une fois, le Cambodge").
En face de la Terrasse des Eléphants, les vestiges de 12 tours, les Prasat Suor Prat, "tours des Danseurs de Cordes", disposées symétriquement par rapport à la Porte de la Victoire.
D'après Tchéou Ta Kouan, l'ambassadeur Chinois, c'était là que se rendait le jugement céleste : quand deux familles se disputaient sans que l'on puisse régler le litige, un représentant de chaque famille s'asseyait au sommet de l'une des tours alors que le restant de la famille restait au pied des tours à surveiller l'autre famille. Après quelques jours d'observation, celui qui a tort finit par le manifester d'une façon ou d'une autre (fièvre, maladie…), et celui qui a raison n'a pas le moindre malaise. Les dieux ont ainsi révélé celui qui était juste.
La terrasse du roi lépreux doit son nom à une petite statue trouvée à son sommet dont le corps couvert de lichens faisait penser à la lèpre dont le souverain aurait été atteint.
Cette terrasse, qui devait servir de lieu de crémation, est entourée d'un premier mur couvert d'un bas-relief de haut en bas. Derrière ce mur, un autre mur mis à jour par hasard, est orné du même bas-relief.
On circule entre ces murs dans une étroite galerie en frôlant toutes les divinités du monde khmer.
A l'origine recouvert de sable et de terre, cet endroit représentait probablement le monde des Enfers, que le guide appelait "le monde invisible".
La Terrasse des Eléphants, longue de 350 mètres, en bordure du palais royal. C'est ici que Jayavarman VII et sa cour s'installaient sous des chapiteaux de bois et de toile pour admirer les spectacles donnés en son honneur sur la Place Royale.
"Ici, c'est la Place Royale, vaste pelouse nue... Je regarde de tous côtés entouré de ruines que la brousse tient encore…
C'est la Terrasse des Eléphants et son long mur sculpté où les lourdes bêtes défilent depuis mille ans, ce sont les oiseaux chimériques à croupe de tigre qui supportent les corniches et gardent les perrons…"
"J'ai longuement regardé. Je faisais un effort de tout mon esprit pour chercher à animer ce palais endormi, à lui rendre sa vie magnifique de jadis, quand Sùryavarman quittait pour un jour sa demeure royale, debout sur son éléphant et l'épée sacrée à la main, escorté de filles armées, de bayadères aux cheveux fleuris, de brahmanes portant le feu sacré, de concubines en palanquins.
Mais non, je ne vois rien... Mon imagination est impuissante à ressusciter ces cortèges. Et pourtant ils ont défilé sur les dalles que je foule.
Tchéou Ta Kouan, le voyageur chinois, les a vus de ses yeux, il y a sept cents ans..."