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Audierne Polynésie Bretagne : Contes et légendes, Histoire. Minorités ethniques : Thai, H'mongs, Boni, Saramaca Civilisations disparues : Angkor (Camboge),Minoenne (Crète), Mayas et Aztèques (Mexique). Sud Maroc, Thaïlande

Bretagne : tempête en Mer d'Iroise

Jean Yves

La Mer d’Iroise est le nom de la partie de l’océan Atlantique s’étendant de l’île de Sein à celle d’Ouessant, en Bretagne. Dangereuse et très fréquentée, c'est l'endroit du monde où la densité de balises et de phares est la plus importante au m2.
De nombreux phares parsèment la côte et les îles. On y trouve les phares les plus mythiques isolés en pleine mer, appelés les "enfers": Armen, la Vieille, Thévennec, la Jument, Kéréon, les Pierres Noires.
Ses courants sont aussi réputés pour leur violence : le passage du Four et le Fromveur au nord (dicton marin : nul n'a passé le Fromveur sans connaître la peur), le Raz de Sein au sud.

[Quand on fait remarquer aux femmes de l'île de Sein combien leur cimetière est étroit, elles vous répondent par le dicton suivant :
                                               Etré an Enez ha ar Beg
                                               Eman berred ar gwazed.
                                          (Entre l'île et la Pointe [du Raz]

                                           est le cimetière des hommes.)
 (Anatole le Braz, la Légende de la Mort chez les Bretons Armoricains)]



E23 ND DesNaufragés                                                               Le raz de Sein, statue de Notre Dame des Naufragés



Et sur cette mer de tous les dangers, un remorqueur de haute mer veille… Ci-dessous, un extrait du roman de Roger Vercel (*) : "Remorques"



E01 Remorque



"Dès l'entrée du goulet, le remorqueur se heurta vraiment pour la première fois, cette nuit-là, à la mer et au vent. La passe ouvrait devant lui un large torrent d'écume qui accourait contre son étrave. Il régnait, dans ce détroit, une effervescence chaotique de déversoir, et un immense bruit d'eau bouillante l'emplissait. A l'avant, les premiers coups de mer s'ouvrirent en hauts éventails blêmes, les premières lames s'écrasèrent en tonnant contre les tôles.



E02 la Vieille                                                                                          La Vieille, au fond : Thévennec



Le capitaine n'apercevait de son remorqueur qu'une île noire qu'il poussait devant lui : son gaillard d'avant, vaguement distinct et qui émergeait seul. L'eau clapotait avec force sur le pont, jetée au tangage contre le gaillard et le château.



E03 Remorque



Et cette eau, intérieure que le bateau emportait, secouait, qui se ruait partout, contre les pavois, les capots, les portes des coursives, cette eau-là était la seule que l'on pût surveiller de la passerelle.



E04 SNSM



A chaque pointe que l'on doublait, le suroît, devant qui tombait une barrière, renforçait son attaque. Il frappait maintenant les tôles et les visages comme un projectile ininterrompu. Il arrivait à ce degré de force et de ténacité où son appui, ses  poussées sont ressentis comme le choc d'un poing et le coup d'une arme. Il devenait impossible, sur la passerelle, de croire que ce ne fût simplement qu'un souffle.



E05 Tempete



Les quatre hommes qui étaient là, debout, pour voir, pour guetter les feux, et qui devaient y rester, sous le ciel noir, sous les coups de l'ouragan, sous le fouet des embruns plus cinglant que les jets dont les dompteurs martèlent les fauves quand ils se battent à mort, ces hommes, capitaine, second, timonier, homme veille, comprirent tous les quatre à la fois, que la partie serait une des plus dures de toutes celles qu'ils avaient jouées.



E06 Tempete



Mais ils gardaient, tous les quatre, une assiette que les cabrades incohérentes du bateau n'avaient point encore surprise. Ils collaient aux planches comme des mouches.



E07 SNSM



Le vent, lui, secouait des tôles aux oreilles, ces crépitements, métalliques qui tambourinent seulement aux plus grandes vitesses des tempêtes, les jours où les anémomètres semblent délirer. Il songea :
Qu'est-ce que ce sera par le travers de Saint-Mathieu ?



E08 Tempete



Car chaque sortie était graduée. Une mer plus creuse les attendait sur trois seuils : à l'entrée du Goulet, à sa sortie, et enfin à la pointe extrême du monde, quand la dernière terre abandonne à cette Pointe Saint-Mathieu, où commence l'Iroise : c'est entre deux sinistres îles, Sein et Ouessant, le corridor Manche-Atlantique, tout plein de courants d'air et d'eau. Le sens des lames s'y renverse deux fois par jour, au flux et au reflux, oscillant entre deux barrières de brisants, la chaussée de Sein au sud, au nord les Pierres Noires, Ouessant et ses nébuleuses d'écueils. C'était l'ordinaire du champ de bataille du Cyclone.



E09 PtDuRaz                                                            Le Raz de Sein quelques instants avant la tempête



Cependant, on sentait que l'on n'avait plus les flancs couverts par aucune terre protectrice, qu'on était désormais livré au déchaînement des espaces, à l'enveloppement de la nuit furieuse. Car le vent avait débordé le bateau et se refermait derrière lui. Ce n'était plus seulement son appui dur sur le visage, son passage brutal sur les joues et les oreilles qu'il collait à la tête. Il frappait maintenant de dos comme de face et les lames jaillissaient le long du bateau tout entier. Le CycIone titubait dans des chutes soudaines de l'avant, retombait à contre-temps dans la mer comme dans un mur ; des chocs dangereux l'ébranlaient.



E10 Tempete



C'était comme l'attaque générale du bateau…
Deux panneaux d'écoutilles avaient été arrachés sur le pont avant. Le hauban tribord arrière avait cassé son ridoir, et, faisant fouet, cinglait dangereusement. Une autre ruée avait brisé les carreaux de la claire-voie, et faussé les batayoles avant. On eût dit le dépeçage du bateau par un tir réglé, dont toutes les slaves portaient. Le cyclone sonnait, fumait sous les coups à le défoncer. Des trombes le parcouraient de l'avant à l'arrière. Les lames ne se cabraient plus pour s'assener de tout leur poids. C'était à présent des volées obliques et basses, qui semblaient dirigées par une volonté féroce de détruire tout ce qui dépassait de ce bateau. L'air et l'eau sifflaient, crissaient, comme une colossale chaudière crevée et crachant sa vapeur.



E11 Tempete



Vers onze heures du matin, les grains s'espacèrent, mais la mer n'avait rien cédé ; les tempêtes sont longues comme des maladies, elles épuisent les vigueurs et les patiences. On n'y résiste que grâce à l'épuisement qui rend les hommes insensibles comme elles.
Il connaissait trop la mer pour ne pas deviner qu'elle préparait un sale coup. Il s'en apercevait à une amollie trop brusque, à un silence où l'on entendit tout à coup avec une étrange netteté le battement de la machine, mais surtout à la danse large de la mer.



E12 BaieTrepasses                                                                   La Pointe du Raz  vue de la Baie des Trépassés



C'était devenu, sous le Cyclone, un large creux lisse et froid qui oscillait. Les eaux se déhanchaient, se balançaient d'est en ouest comme lorsqu'on secoue un baquet à demi plein. Renaud savait que ce balancement était un élan, celui que prennent les eaux pour frapper…



E13 Baie Audierne                                                             Début de tempête sur la Baie d'Audierne



Le cri de l'ouragan le fit taire... Il sentit sous lui le remorqueur trembler. Puis une force glacée emplit d'un coup la passerelle crevée, hésita un fragment de seconde et se rua. Renaud avait accroché ses deux mains à une épontille : le passage de la cataracte lui arracha les pieds du sol… La lame lui tapait dans le ventre, des tonnes d'eau lui passaient le long des oreilles ; il se sentait battre de tout le corps, comme une flamme à une tête de mât.



E14 Tempete



A l'ouest, on apercevait Sein, un seuil plat, une dalle gercée et noire, basse sur l'eau comme un radeau échoué, si basse que ses mille habitants se réveillent, la nuit, tous ensemble, avec de l'eau le long du ventre, Sein tellement usée par les lames, que cette île de roc a pris les courbes molles, allongées, des bancs de sable, qu'elle apparaît sur les cartes avec une figure inquiétante d'ectoplasme.



E15 IleDeSein                                                                                 L'Ile de Sein vue du Grand Phare



Ses prolongements enserrent des lagunes bouillantes et seules les maisons s'y élèvent un peu au-dessus du flot.



E16 IleDeSein



Renaud, à force de la doubler, en était devenu curieux. Il avait tenu à la visiter un jour, à descendre chez les femmes à coiffes noires…



E17 FemmeIleSein                                                                             Femme en costume de l'Ile de Sein



Yvonne, sa femme, l'accompagnait. Il l'avait photographiée, debout entre les "Causeurs", les deux grands menhirs qui se font face à la pointe extrême de l'ancien monde.



E18 Les Causeurs Sein                                                                          Ile de Sein : les menhirs appelés "Les Causeurs"



Il se souvint d'être monté au phare et d'en avoir reçu une grande satisfaction. En tournant autour de la lanterne, n'avait-il pas aperçu, pour la première fois, dans la lumière vibrante, de ce dimanche de juillet, tout l'ensemble de cette Chaussée de Sein contre laquelle il se battait dans le noir, dans les embruns, dans les brumes et qu'il n'avait vraiment jamais vue, même quand il allait chercher les navires jusque dans ses crocs.



E19 PhareIleSein                                                                                    Le Grand Phare de l'Ile de Sein

 

 

Il revoyait, avec une précision parfaite, le tableau : une chaussée, oui, une route remplie d'écume, une avenue cahoteuse, large de quatre milles et hérissée de milliers de cailloux noirs. Et là-dedans, les entrelacs incohérents des courants et des remous, une sorte de foisonnement de l'eau, d'enchevêtrements absurdes, de retours, de repentirs.



E21 ChausséeSein                                                                         La Chaussée de Sein par beau temps



Sur les bords de cette route, deux rangées de geysers, des arbres d'écume sans cesse renaissants et retombés. Les cailloux, il les avait nommés comme un vainqueur dénombre une armée vaincue : la Tête du Chat, Dentock, Penbara, Nerroth, à l'ouest et au nord ; Gouelvanic, Forock, Men Mankik à l'ouest. Et tout le semis des autres qui portent des noms celtiques de sens farouche ou grotesque. Le gardien du phare lui avait dit :
"Il y a là-dedans encore plus d'épaves que de cailloux".



E22 Tempête



Un grain creva, noyant tout. Quand le nord redevint clair, les brisants surgirent si proches que Renaud en reçût un choc, comme de retrouver présente, au réveil, la menace d'un cauchemar.



E25 PointeDuRaz                                                                              La Pointe du Raz dans la toumente



Un moutonnement furieux y courait, d'est en ouest, et les recouvrait. C'était quelque chose de prodigieusement vivant, une galopade d'avalanche, des crinières démesurées qui échevelaient. Les roches, parfois, pointaient sous l'écume comme des engins difformes crachant à d'extraordinaires hauteurs des explosions tonnantes.



E24 Tempete



Et leur immobilité, sous la formidable ruée qui les parcourait, semblait miraculeuse et presque méritoire."



E26 PointeDuRaz


        
(*) Roger Vercel, de son vrai nom Roger Cretin est né le 8 janvier 1894 au Mans et mort le 26 février 1957 à Dinan.


 

Roger Vercel 


Remorques, écrit en 1935 est adapté au cinéma en 1941 par Charles Spaak et André Cayatte, avec entre autres, Jean Gabin et Michèle Morgan. Le scénario et les dialogues sont de Jacques Prévert, la musique d'Alexis Roland-Manuel.



E27 ND DesNaufragés



Ses souvenirs de guerre inspirent quelques-uns de ses premiers livres (Notre père Trajan, Capitaine Conan, Léna) mais c'est le monde maritime qui est au cœur de son œuvre. Roger Vercel était passionné par la mer et la vie des marins et bien que n'ayant pratiquement jamais pris la mer lui-même, la plupart de ses romans se dérouleront dans un cadre maritime, comme la trilogie "La fosse aux vents".
Au Large de l'Eden lui vaut le Prix du Comité Fémina France-Amérique en 1932. Il obtient le prix Goncourt en 1934 pour Capitaine Conan.



E28 Thévennec                                                                                                      Thévennec



Le 19 novembre 1976, les cendres de Jean Gabin (1904/1976) sont immergées depuis LA JEANNE en mer d'Iroise, à 20 nautiques de Brest, au sud de la chaussée des Pierres-Noires, selon les dernières volontés du défunt.


                          A voir cette vidéo sur You Tube, le remorqueur Abeille Flandre



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Commentaires
L
il y avait des belles houles
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P
sublime j'aime bien les phares et bravo pour la grosse vague
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G
O combien de marins, combien de capitaines: Qui sont partis joyeux pour des courses lointaines... On y est... ambiance assurément réaliste, bons souvenirs aussi du film Remorques, vu et revu...<br /> Bon vent !
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T
y'a une alerte vent sur le cotentin cette nuit car l'abeille liberté est dans la rade prêt à intervenir ... bonne soirée jy
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L
c'est bien mouvementé lors de cette saison
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