Bretagne : fête du goémon 2011 à Esquibien
Comme tous les ans à la fin du mois de juillet, la fête du goémon se déroule dans le cadre magnifique du site de Kernod à Esquibien. Une façon de perpétuer une des activités du siècle dernier, comme le décrit Pierre Jakez Hélias dans le texte suivant :
Le mois de septembre a passé, voilà octobre en marche. On s'occupe à ouvrir la terre pour semer le grain dans le même temps que les oiseaux font leur mue. Naguère, en cette période, j'allais voir les fours à brûler le goémon qui dégageaient leur fumée tout au long de la côte, depuis Penhors…
… jusqu'à Audierne.
Une fumée épaisse, lourde, jaunâtre, qui se répandait à ras de terre sur les campagnes nues, s'effilochait si bien sous le vent qu'il n'en restait que quelques écharpes claires dans les vallons.
Mais jusqu'au bourg, à une heure plus loin, les travailleurs des champs levaient l'échine, de temps en temps, se tournaient vers l'ouest et ouvraient leurs narines aux senteurs puissantes de la mer. Chacun se trouvait ragaillardi dans sa peau, prêt à traverser la mauvaise saison sans précipiter le souffle. Le brûlage du goémon était une sorte de fête, des feux de la Saint‑Jean pour célébrer l'automne.
Hélas ! Septembre a passé, octobre est en marche, il n'y a pas le moindre feu sur les côtes d'Audierne, il n'y a que le vent humide qui s'élève par à‑coups, trop faible encore pour siffler, assez fort pour nourrir le regret de l'été.
Goémons. Je vois encore les femmes de mon pays entrer dans la mer, en robes, deux à deux, repoussant la vague de toute la force de leur corps bandé. Entre elles, une sorte de civière pareille à une échelle.
Avec la fourche et le râteau, elles ramassaient les haillons roux, butin de la tempête sur les récifs. On aurait dit des cuisinières soigneuses, occupées à écumer une énorme soupe à l'oignon. Quelle étonnante moisson qui n'était précédée d'aucune semaille !
Ensuite, il fallait monter le goémon sur la falaise, l'étaler sur l'herbe courte pour le faire sécher. Je vois encore la palud de Penhors couverte de varech, à l'exception d'une surface, autour du port, qui était spécialement réservée aux filets. On ne pouvait traverser, pour gagner la grève, qu'en prenant un sentier de lièvre qui menait à une échancrure de la falaise où suintait une fontaine d'eau douce.
Plus tard, le goémon sec était mis en tas autour des fours. Ces derniers sont creusés tout à fait au bord, en surplomb de la grève et dans les lieux les plus élevés pour bénéficier du plus de vent possible. On peut les y voir encore, bien qu'ils soient parfaitement abandonnés. Des sortes de fosses pour enterrer, au ras du sol, des corps d'hommes un peu trop longs de taille, un peu trop étroits d'épaules.
L'intérieur en est revêtu de pierres plates. C'est là que j'ai lu, adolescent, les Trois Mousquetaires et une brassée d'autres livres, étendu à l'abri comme un chevalier gisant du Moyen Age, immobile dans mon lit de pierre, pendant que sifflaient autour de moi les vents sauvages sans parvenir seulement à faire trembler les pages.
De temps à autre, je voyais un pêcheur venir se planter au‑dessus de moi. Ses sabots de bois, tout près de mon nez, semblaient des vaisseaux de haut bord et sa figure, tout là‑haut, était mangée par son menton : « Hé bien ! Mon gars, vous avez trouvé un siège solide », disait l'homme. Et moi, en plaisantant : « Je ne sais pas trop bien. Les pieds sont pourris. » Il s'éloignait en riant. Hélas ! C'était vrai. Tous les hivers, la mer déchaînée avalait un pan de falaise et le four à goémon par‑dessus le marché.
Le temps du brûlage venu, les goémoniers compartimentaient le four avec des pierres plates, chaque compartiment aux dimensions d'un pain de dix livres. On remplissait avec des fourchées de goémon et on mettait le feu.
Venait alors le plus dur du travail. Il fallait alimenter le feu sans cesse, le tenir en surveillance pour l'empêcher de flamber, tourner le goémon pour désenfumer le tas, composer la pâte qui bouillait au fond et qui ferait le pain de soude, une fois refroidie.
Le plaisir était le lot des enfants, toujours attirés par la fête du goémon. Ils gobaient la fumée en sautant par‑dessus la fosse, les yeux fermés, la bouche ouverte. Mais les hommes peinaient dur à tasser au pifon cette bouillie qui durcirait au cours de la nuit. A l'aube, toujours avec le pifon, cinq ou six pains de soude seront dégagés et sortis du four. Il faut se garder de les casser. Ce serait montrer à l'acheteur qu'ils n'ont pas été bien faits. Un camion viendra charger les pains pour les emmener à l'usine. Aujourd'hui, ce même camion ramasse le goémon sec et l'usine fait le reste. On ne brûle plus sur les côtes.
Quand nous étions enfants, nous récoltions des crabes, des berniques et des bigorneaux pour les faire cuire sur le feu de soude. Ils mijotaient dans une boîte de fer‑blanc remplie d'eau de mer, au sein d'une lourde fumée qui les imprégnait d'un goût Mode. C'était meilleur que le dîner de la maison, cent fois meilleur.
Souvent aussi, dans la soirée, les paysans, qui avaient travaillé tout au long du jour dans les champs proches, venaient cuire de pleines casserolées de pommes de terre dans leur peau sur les fours vifs. Les deux nourritures, celle de la mer et celle de la terre, étaient partagées entre tous. Je n'ai rien mangé de meilleur, depuis, à la table des grands de ce monde.
Pierre Jakez Hélias :
"Goémons" tiré du livre "Les autres et les miens".
Avec la participation du groupe celtique de Querrien (commune de la région de Quimperlé).
Des précisions "plus techniques" sur le ramassage du goémon dans l'article suivant :