Sourires de Polynésie
Un petit détour par la Polynésie, le temps d'une légende, avant de revenir en Bretagne. C'est la légende du "maiore" (prononcer maïoré en faisant bien attention à rouler les r).
Le maiore, c'est "l'arbre à pain", cet arbre que le Bounty devait rapporter aux Antilles en 1789 pour acclimatation. Le fruit, le uru (prononcer ourou, en roulant bien le r), devait servir de nourriture aux esclaves des colonies anglaises.
C'était il y a très longtemps, bien avant l'arrivée des blancs dans nos îles, à une époque où la famine et la sécheresse désolaient toutes les îles océaniennes.
Les fleurs étaient mortes, les arbres agonisaient. Les cocotiers eux-mêmes, comme de grands oiseaux morts, laissaient pendre leurs feuilles roussies le long de leurs troncs rugueux. Les champs de taros et d'ignames, de patates et de bananiers, privés d'eau, séchaient au soleil. Dans ce désert, la population se mourait. Le ciel était d'un bleu pur, sans aucune promesse de pluie.
A l'intérieur d'un frais fare de bambou, sur une natte de pandanus, Moe redressa son buste de bronze. Puis debout, elle parut s'abandonner à un rêve. Ses longs cheveux noirs lui faisaient une parure royale, sur les dents de nacre s'entrouvraient ses lèvres sanglantes.
A quelques pas, Arutua, son fiancé, la contemplait. Qu'il la trouvait belle, celle qui, dans peu de temps serait sa femme ! Et pour accompagner le rêve de sa douce fiancée, il chanta :
"Moe, Moe, la nuit est plus claire que ta chevelure d'ébène et moins fraîche que ta gorge. Que la nuit nous enveloppe pour nous cacher cette terre où meurent les fleurs du hinano et du tiare.
Moe, Moe, je sais mener ma pirogue parmi les récifs du lagon, et mon bras est devenu puissant à l'usage de la hache de guerre. Mais que m'importe, ô Moe, d'être fort et audacieux si la vie doit nous manquer !
Moe, Moe, tu m'es plus belle que le soleil qui se lève. Je chercherai dans tes cheveux ô Moe, le parfum du monoï parfumé au tiare."
Moe avait écouté le chant de son fiancé. Ce chant l'avait pénétrée doucement. Elle ne songeait plus à la mort qui les guettait. Elle voulait vivre, vivre encore pour toujours entendre la voie bien-aimée de Arutua, toujours sentir près d'elle sa force et son amour. Alors, à son tour, elle dit :
- Arutua, tu es mon aimé. Tes lèvres chantent comme le vent du soir dans le feuillage des aito de la plage. Par notre désir de vivre, ô Arutua, nous résisterons à la mort qui rôde autour de nous. Je connais dans la montagne, Taaroa, un sage vieillard.
Au jour de ma naissance, il dit à ma mère que je serais belle comme l'étoile du matin et qu'il était prêt à sacrifier sa vie pour moi. Allons donc le trouver !
Ils partirent vers la montagne où vivait Taaroa.
Ils passèrent par les gorges profondes des vallées à la recherche de la demeure de Taaroa et ce fut une marche longue et fatigante, sous un soleil de feu.
La longue file des tribus suivait Moe avec confiance.
Vers le soir, Taaroa leur apparut enfin.
Une longue chevelure de neige encadrait sa figure osseuse, et il s'appuyait sur une branche d'oranger, dégarnie de ses épines. Il avait un tel air de calme et de force qu'à sa vue, les tribus affamées comprirent vraiment qu'elles pouvaient lui faire confiance.
Moe continua sa marche jusqu'à la grosse pierre, puis s'arrêtant, elle s'écria : "Sage vieillard, je me suis souvenue de la promesse faite à ma naissance et je suis venue te trouver pour que tu nous donnes la vie, nous voulons vivre et nous aimer !"
Taaroa lui répondit :
- Salut à toi, Moe ! Je t'ai connue au berceau, belle comme le teina et fraîche comme la fleur du tiare. Pour toi, je ferai la beauté éternelle !
Tu as choisi celui qui sera ton compagnon dans la vie. Son cœur se soulève d'amour lorsqu'il te contemple. Pour toi, je ferai l'abondance éternelle !
Et le miracle se produisit.
Le corps du sage Taaroa sembla se fondre dans l'air du soir qui descendait des vallées, puis il prit des formes étranges, son buste devint noueux comme l'écorce des vieux arbres, ses jambes se fixèrent au sol comme des racines, tandis que sur les bras devenus branches naissaient des feuilles et des fruits. C'est ainsi que naquit le maiore.
Feuille de maiore Uru
Le miracle fut complet. L'eau coula à nouveau dans le lit desséché des torrents, les champs reverdirent. Parfois les fruits juteux faisaient ployer les branches sous leur poids, et les tribus revinrent à leurs cases en chantant les louanges de Moe.
Toute la nuit se passa en réjouissances, et, dès le lendemain, on célébra le mariage de Arutua et de Moe. Dès ce moment, ils vécurent d'heureux jours, cachant leur grand bonheur dans la modeste case cachée sur la plage, parmi les puraos.
Bulletin de la Société des Etudes Océaniennes
Tome 4 - n°38 - pp.110-114