Coc Ly : une vallée paisible du N.O. du Vietnam

Histoire de la feuille de bétel et de la noix d'arec
Il était une fois, sous le règne du roi Hùng Vu'o'ng, le quatrième de la dynastie, deux frères. Sans être jumeaux, ils se ressemblaient à tel point que les gens prenaient facilement l'un pour l'autre. Ils vivaient en très bonne entente, avec un attachement réciproque rare, ne se quittant jamais.
Un jour vint où l'aîné épousa une belle jeune fille du village. L'attachement entre les deux frères était si fort que l'aîné demanda à son frère cadet de continuer à habiter avec eux. D'ailleurs sa nouvelle épouse, compréhensive et partageant l'affection de son mari pour le cadet, accepta avec bonne grâce la présence de ce dernier.
Les années passèrent dans le plus parfait bonheur. Tous les jours, les deux frères partaient travailler aux champs, tandis que l'épouse s'occupait de la maison.
L'aîné, très amoureux de sa femme, avait pris l'habitude de rentrer à la maison au milieu de la journée pour être auprès d'elle.
Un jour, victime d'une insolation, le cadet demanda à son frère de le remplacer au champ, et regagna la maison pour se reposer. Il alla s'allonger sur le sofa du salon, après avoir fermé les volets pour mieux s'abriter de la vive lumière du jour.
L'épouse, revenant du jardin où elle était allée cueillir quelques légumes, aperçut dans la pénombre un corps étendu. Croyant que c'était son mari, elle ne le réveilla pas et, se glissant à ses côtés, s'endormit.
Entre-temps, ayant fini son travail, le frère aîné rentra à son tour. À la vue de son épouse et de son frère ainsi couchés, il se mit dans une grande colère, puis sombra dans une immense tristesse. Et, bien que son épouse lui eût expliqué sa méprise, il maudit le mauvais sort qui avait permis à la trahison de s'introduire dans sa famille.
Les relations devinrent si tendues que le cadet, s'accusant d'avoir été à l'origine de ce malentendu, décida de quitter la maison. Pour lui, c'était une manière de sauver le bonheur de son frère aîné et d'éviter toute nouvelle confusion.
Il partit donc droit sur le chemin, ne sachant où aller. Après une longue période d'errance, complètement épuisé, il arriva au bord d'un fleuve. Il ne trouva aucun moyen de le traverser. N'ayant plus la force de continuer, il s'assit sur la rive et se laissa mourir.
Miraculeusement, son corps se transforma en un monticule de pierre à chaux.
Pendant ce temps, s'apercevant de l'absence de son frère, et pris de remords de n'avoir pas été plus compréhensif, l'aîné décida d'aller à sa recherche, afin qu'ils puissent de nouveau être ensemble comme ils se l'étaient promis. Tout en assurant son épouse de son retour rapide, il partit sur le chemin.
Jour après jour, village après village, suivant la trace de son frère cadet, il parvint au bord du fleuve et se trouva bloqué de la même manière. Épuisé lui aussi par la longue route, il se coucha sur la pierre blanche et mourut.
Il se transforma en un arbre fin et élancé, dont les racines enserraient la pierre blanche, et dont le feuillage abondant protégeait de son ombre la pierre brûlée par le soleil. Ses fruits, en forme de noix, avaient la chair fibreuse et l'écorce brillante.
Restée à la maison, l'épouse passait ses journées dans l'inquiétude et la tristesse. Son époux lui manquait. Finalement, ne pouvant plus attendre, elle décida de partir à sa recherche.
Elle prit le même chemin, aidée par les témoignages de gens qui avaient croisé son mari.
Elle parvint ainsi au bord du fleuve, et ne put le franchir. Désespérée et épuisée, elle s'installa au pied du seul arbre qui se dressait à cet endroit. À son tour, elle se laissa mourir. Et elle se transforma en une liane vigoureuse, avec des feuilles en forme de cœur, qui grimpait enlaçant le tronc de l'arbre.
Le temps s'écoula.
Un jour le roi Hùng‑Vu'o'ng, passant par là, s'étonna de la présence de cet arbre inconnu et de cette liane si particulière, qui tous deux avaient pu prendre racine sur cette pierre crayeuse.
Il goûta un fruit, le trouva dur et sec comme une corde. Il goûta une feuille de liane, la trouva amère. Il eut la curiosité d'écraser la noix, de l'enrober dans la feuille, puis d'ajouter au tout un peu de la pierre crayeuse. Il mâcha la préparation. Un liquide rouge comme le sang en sortit. Curieusement, le roi éprouva une impression de fraîcheur dans la bouche et trouva le goût parfaitement acceptable.
En interrogeant les gens de la région, il apprit la triste histoire. Le roi fut ému par ces preuves d'amour, de fidélité et de pureté des sentiments. Il fit alors ériger un monument à la mémoire du trio, et décréta que désormais, lors des demandes en mariage, l'on offre sur un plateau une noix de l'arbre, une feuille de la liane, et un peu de la pierre crayeuse.
C'est ainsi que depuis ce temps, au Viêt-Nam, la noix d'arec, la feuille de bétel et la chaux sont offertes lors des fiançailles comme symboles de la sincérité des sentiments ainsi que de l'amour et de la fidélité conjugale. On s'aperçut, en outre, que cet amalgame protégeait les dents et conservait l'haleine fraîche. Voilà pourquoi beaucoup de gens de ce pays ont l'habitude de chiquer la feuille de bétel, et que l'arec est planté partout et constitue un élément caractéristique de la campagne vietnamienne.
Nguyên-Xuân-Hùng
A suivre...