Sapa : Le marché
A Sapa, lors de la construction de la ville, un lieu fut spécifiquement désigné au centre du nouveau bourg pour accueillir le marché de la région. L’administration coloniale taxait les marchandises du commerce transfrontalier et veillait aux secteurs étatisés du commerce de l’alcool, du sel et de l’opium. Par l'intermédiaire des boutiques autorisées, l’administration achetait la production locale d’opium, de même que celle qui était apportée sur les lieux par les caravaniers. Cet opium brut était alors dirigé sur Hanoï et Saïgon où la Régie générale de l’opium de l’Indochine veillait à sa transformation et à sa mise en marché.
Durant toute la durée de la présence française à Sa Pa, soit de la fin du XIXe siècle jusqu’à 1950, au moment où les dernières troupes françaises abandonnèrent le site, le marché de Sa Pa poursuivit ses activités. Cela consistait à approvisionner la station en produits agricoles et forestiers frais en réponse à la demande locale qui doublait durant la période des vacances d’été, période durant laquelle la population française se rendait à la station civile de Sa Pa pour la saison chaude.
La collectivisation de l'économie étant à l’ordre du jour dans toute la République Démocratique du Vietnam, les terres se trouvèrent saisies par l’État et remises aux coopératives agricoles tandis que les prestations de travail contre rétribution ne se firent plus que dans le cadre de coopératives de travail.
Les montagnards de Sa Pa se plièrent docilement aux changements démographiques, politiques et économiques des années socialistes. Les produits qui leur étaient nécessaires tels le sel et les métaux étaient de nouveau disponibles au magasin d’État. L’opium produit localement était apporté à ce même magasin et échangé contre des produits industriels, de l’alcool ou des tickets pour le riz et la viande, tandis que les légumes et produits forestiers s’échangeaient librement sur le site de l'ancien marché colonial de Sa Pa, maintenant rétabli à cette fin.
Des années 1960 jusqu’au début des années 1990, la principale contribution en produits des montagnards à l’économie locale collectivisée – l’opium étant emporté par l'État hors de la région – fut le riz.
Or, les officiels vietnamiens admettent aujourd’hui que la collectivisation dans la haute-région ne fut pas un succès. Quelques effets structurants se firent tout de même sentir, notamment l’arrimage croissant de l’économie montagnarde aux marchés régional et national. Enfin, même si l’information manque pour en estimer l’importance exacte, l’on sait que la production d’opium constituait toujours une part essentielle de l’économie montagnarde, que les montagnards en étaient les seuls producteurs, et que jusqu’au début de la décennie 1980, l’État en était le seul acheteur autorisé.
La "Rénovation économique", ou Doi Moi, résolue à Hanoï en 1986 et mise en application par vagues successives à l'échelle de tout le pays dans les années subséquentes, sonna le glas de trente années de collectivisation. À la disparition presque complète de la plupart des coopératives s’ajoutèrent bientôt deux importants développements d'envergure nationale, soit l’interdiction de couper la forêt pour en vendre les produits ou y dégager de nouvelles parcelles, et l’interdiction définitive de cultiver l’opium.