Plovan : la légende de la chapelle de Languidou
La chapelle de Languidou à Plovan a déjà fait l'objet d'un article sur ce blog (voir), mais traitait le côté "historique" de la chapelle.
Plovan, petite commune de 600 habitants dans le Sud Finistère, se trouve dans une zone de paluds et d'étangs emprisonnés derrière la barrière des galets.
La remonté du niveau marin a fait que les ruisseaux qui se jettent dans la Baie d'Audierne n'ont plus la puissance nécessaire pour évacuer leurs sédiments. Ceux-ci viennent colmater les estuaires naguère ouverts sur la baie. Il en résulte toute une série d'étangs côtiers où se développent les roselières, importantes réserves de faune, notamment ornithologique. Et c'est ainsi que la légende rejoint l'histoire.
Voici donc la légende de la chapelle de Languidou racontée par Pierre Jakez Hélias :
La chapelle de Languidou est en ruines dans la paroisse de Plovan, sur le versant d'un coteau herbu qui regarde la mer sans la voir. Il y a pourtant un vallon qui mène de la chapelle à la côte, et cette côte est tout près. Le vallon est occupé par un étang d'eau saumâtre, séparé de la mer par un cordon de galets si haut, que même les plus grosses vagues du plus mauvais hiver ont de la peine à le franchir.
Et c'est ainsi que Languidou est prisonnière dans les terres depuis on ne sait quand, mais ce n'est pas d'avant-hier. A cause de ces galets que la mer elle-même a tiré du fond de son ventre pour bâtir un mur. Quel malheur pour la chapelle et pour le Saint Kido qui en était le maître !
Bien avant le temps où le plus vieux chêne de la Bretagne n'était pas encore un gland, la mer venait lécher librement l'enclos sacré de Languidou. La marée, deux fois par jour, remontait jusqu'au manoir de Lesnarvor qui est à une lieue de la côte.
Le pays de Penmarc'h, en ce temps-là, était un archipel d'îles basses entre lesquelles on circulait par des canaux.
Tout au long de la Baie d'Audierne, il y avait des ports ouverts. Et c'est par la route de mer que des pèlerins arrivaient de toute part au grand pardon de Languidou.
Ils venaient même des pays étrangers et apportaient avec eux leurs bannières pour rendre hommage au seigneur Saint Kido. C'est Henri Bolzer, de Plovan, qui a écrit tout cela de sa main, ou qui l'a chanté de sa voix. Et sa chanson se chante encore, après bientôt cent ans :
"Le flux de la mer montait jusqu'à Languidou.
Les bateaux faisaient relâche au pied de l'église.
Le jour du grand pardon, il venait des bannières
Saluer saint Kido, de toutes les nations !"
Or, ce n'est pas Henri Bolzer qui a trouvé cela dans sa propre tête. Elle était trop étroite pour inventer des choses pareilles. Il a ramassé, comme on dit, l'héritage des oreilles, les quelques phrases qui avaient réussi à traverser les siècles sur la langue des conteurs, aux veillées de Plovan.
Et puis, il vint un temps ou la mer attrapa mal au ventre, on ne sait pas pourquoi ni comment. Peut-être à cause des pêchés des hommes. A force de convultions, elle dérouta ses courants, elle bannit ses poissons au large, elle encombra les canaux de sa vase, elle finit par dégorger, sur ses bords, les galets qui lui faisaient mal. Toutes les charrettes du monde n'auraient pas réussi à en débarrasser le rivage avant le jour du jugement. La baie de Kido se trouva barrée d'un cordon de galets polis et se dessécha derrière ce mur.
La rivière devint un étang et les cloches de Languidou sonnèrent le glas du grand pardon.
Pendant plusieurs années encore, des navires d'outre-mer chargés de pèlerins se présentèrent devant la Baie d'Audierne, cherchant l'entrée de la rivière de Kido. Mais ils avaient beau croiser de Porz-Karn…
… à Porz-Pouhlan, il n'y avait plus d'entrée.
Quelques marins débarquèrent sur la grève et montèrent sur le cordon de galets. Derrière, ils virent l'étang mort et la chapelle, au versant du coteau, qui semblait morte aussi. Alors, ils retournèrent dans leur pays avec leurs bannières inutiles. On ne les revit plus jamais.
Les gens du pays gardèrent leur confiance au seigneur Saint Kido, bien que son pouvoir ne s'étendit plus sur la mer. Mais le pardon de Languidou n'attirait plus les fidèles au-delà d'une étape de charrette. Et cependant, on parlait toujours de la chapelle comme de l'une des merveilles du monde. Les piliers qui la soutenaient n'avaient pas leur pareil à Rome.
La grande rosace, vers l'Est, garnie de verres de couleur, multipliait le soleil du matin qu'elle répandait sur le dallage en parterres mouvants. Les tailleurs de pierre, et même les maçons jusqu'au plus humble gâche-mortier, n'en finissaient pas d'ouvrir la bouche devant elle.
Tous les personnages de pierre étaient encore là, sur leurs consoles de pierre. Il y avait surtout une "image" qui était placée de telle sorte qu'elle pouvait regarder dehors par cet œil-de-bœuf qui est encore intact dans les ruines du mur au Sud.
Et l'image tenait en respect, de son mieux, les tempêtes qui assaillaient la Pointe de Penmarc'h. Elle était le dernier recours des pèlerins de Languidou.
Or, je n'ai jamais pu savoir ce que c'était. A travers le Pays Bigouden, on m'a parlé peut-être sept fois de cette "image", on n'a pas su me dire si elle était homme ou femme. Mais un beau jour, elle avait disparu. Elle était partie pour des raisons qui étaient les siennes ou celles du Seigneur Tout-Puissant.
Alors, la désolation tomba sur Languidou. On prit peur devant cet abandon, la plus grave catastrophe depuis les convulsions de la mer. Certains chargèrent leurs biens sur une charrette et vidèrent le pays. Des gens de peu de foi.
C'était trop tôt. Quelques temps après, l'image se retrouva, installée comme chez elle, dans une des chapelles d'alentour. Mais on ne sait laquelle.
Et Languidou, tombée en décadence, entra définitivement dans l'histoire, ayant gardé ses os mais perdu sa chair. Pour les gens de Plovan, elle n'est plus que le vieux cimetière.
Pierre Jakez Hélias
Pierre Jakez Hélias, (17 février 1914 - 13 août 1995)
Il est né et a vécu son enfance à Pouldreuzic en Pays Bigouden, dans une famille d'ouvriers agricoles exclusivement bretonnants. Il apprend le français à l'école et se prend d'affection pour cette langue, sans renier sa langue maternelle. De 1946 jusqu'à sa retraite en 1975, il est professeur agrégé de lettres classiques à l'École Normale de Quimper.
Deux ans après la Libération, le 21 décembre 1946, Pierre Trépos et Pierre-Jakez Hélias relancent les émissions de radio en langue bretonne. Co-fondateur du festival de Cornouaille en 1948, il en est longtemps le conseiller et l'animateur au micro.
Éloigné des tendances nationalistes bretonnes, il vit avec pragmatisme sa double appartenance culturelle, enseignant le français et écrivant dans les deux langues.
Le Cheval d'orgueil, écrit en 1975, le récit de son enfance, lui vaut la célébrité. Il publie en 1977 Les Autres et les miens, recueil de contes, puis des romans en français. Sa poésie en breton, dont il effectuait presque toujours une traduction française est d'une grande qualité (Maner kuz/Manoir secret et La Pierre du Oui/Men ar Ya).