Pays Bigouden : la révolte des Bonnets Rouges
Lambourg, Lanvern, Languivoa : trois chapelles du Pays Bigouden, trois clochers décapités pour avoir sonné le tocsin de la révolte. Un fait sans doute unique en France de monuments religieux volontairement mutilés par le pouvoir civil.
Ci-dessous, la chapelle de Lambourg ; l'église date de 1280 pour sa partie centrale, les piliers, arcades et chapiteaux se rattachent à l'école de Pont-Croix ; la façade, le clocher et le porche Sud sont rajoutés au début du XVIè siècle. Le toit fut démonté en 1899.
1675 : Louis XIV crée de nouveaux impôts pour financer la construction du château de Versailles, pour maintenir le luxe de la cour, et surtout pour financer la Guerre de Hollande (1672/1678). Une guerre suscitée par Colbert contre un pays dont le commerce faisait de l'ombre au commerce français.
Pour financer la guerre, de nouveaux impôts sont levés :
D’abord, une taxe sur le papier timbré, en avril 1674 : papier rendu obligatoire pour tous les actes susceptibles d’être utilisés en justice (dont les registres d’état civil).
Dessous, la chapelle de Lambourg vue de Pont L'Abbé :
Le 27 septembre 1674, la vente de tabac est réservée au roi, qui prélève une taxe. La réorganisation des circuits de vente entraine une interruption temporaire de la distribution de tabac à fumer et à chiquer, d’où une autre source de mécontentement.
Ci-dessous, la chapelle de Languivoa ; elle date de la fin du XIIIè début du XIVè siècle pour la partie centrale et est terminée vers 1659.
A la même période, une nouvelle taxe frappe tous les objets en étain : les cabaretiers répercutent la taxe, d'où une forte hausse sur les prix des consommations.
S'en suivent des révoltes d'avril à septembre 1675, un peu partout en France, que l'on a appelé "La Révolte du papier timbré".
La révolte eut plus d’ampleur en Basse-Bretagne, notamment en prenant un tour antiseigneurial sous le nom spécifique de révolte des Bonnets Rouges.
Elle est appelée révolte des Bonnets Rouges pour sa partie bretonne, car certains insurgés portaient des bonnets rouges (ou bleus selon la région), et également «révolte des Torreben» (casse-lui la tête), un cri de guerre qui sert de ralliement.
La révolte est souvent menée par des femmes. À cette époque, la législation royale est de plus en plus draconienne à l'encontre des femmes, tous leurs droits sont diminués, aussi bien leurs droits économiques que civils (elles ne peuvent plus choisir leur époux par exemple). Ceci heurte dans un pays où la femme occupe traditionnellement une place très importante.
Rennes et Nantes se soulèvent début avril. L’exemple des villes est suivi, à partir du 9 juin, par les campagnes de Basse-Bretagne et l’ampleur de la révolte est exceptionnelle pour le règne de Louis XIV.
Ci-dessous, la chapelle de Lanvern ; elle est construite à la même époque que les autres chapelles.
Le maximum de violence est atteint fin juillet début août dans la région de Carhaix. Les paysans sont commandés dans cette région par un notaire, Sébastien Le Balp.
Les paysans révoltés établissent des codes connus sous plusieurs noms (code paysan ou code "pessovat" (traduction française : "ce qui est bon"). Ils préfigurent, par leur contenu, les cahiers de doléances de la Révolution Française. Le Règlement le plus connu est rédigé le 2 juillet 1675 par les habitants des 14 paroisses, de Douarnenez jusqu'à Concarneau, établi à la chapelle Notre-Dame de Tréminou près de Pont L'Abbé.
Ci-dessous, la chapelle de Tréminou ; la construction date également de la fin du XIIIè siècle. Le toit a été refait en 1964.
Rédigé en français, il engage les habitants de quatorze paroisses et doit être affiché aux carrefours et lu lors des sermons du dimanche (comme les proclamations royales). Il ne remet pas en cause le régime politique.
Ci-dessous, la chaire à prêcher, surmontée d'une croix très ancienne, extérieure à la chapelle, d'où a été proclamé pour la première fois le Code Paysan.
Voici quelques unes de ces demandes :
Article 4 : au nom de la liberté Armorique, il proclame l’abolition des droits de champart et corvée prétendus par les gentilshommes.
L’article 5 demande même des mariages mixtes entre nobles et paysans, avec le droit pour les femmes nobles de choisir leur mari.
L'article 6 concerne l'impôt sur le sel : "II est défendu, à peine d'être passé par la fourche, de donner retraite à la gabelle et à ses enfants, et de leur fournir ni à manger ni aucune commodité ; mais, au contraire, il est enjoint de tirer sur elle comme sur un chien enragé".
Article 9 : "Que les recteurs, curés et prêtres, seront gagés pour le service de leurs paroissiens, sans qu'ils puissent prétendre aucun droit de dîme, novale, ni aucun autre salaire pour toutes leurs fonctions curiales".
Article 10 : "Que la justice sera exercée par gens capables choisis par les nobles habitants, qui seront gagés avec leurs greffiers, sans qu'ils puissent prétendre rien des parties pour leurs vacations, sur peine de punition".
L'article 11 est également notable, avec une demande d'interdiction de la chasse entre le 1er mars et la mi-septembre.
Article 12 : "Qu'il sera loisible d'aller aux moulins que l’on voudra, et que les meuniers seront contraints de rendre la farine au poids du blé".
Ci-dessous le Château de Pont L'Abbé, capitale du Pays Bigouden. Son propriétaire, à l'époque, n'était pas très tendre avec ses "administrés".
Louis XIV envoie ses dragons réprimer la rébellion. Sous le commandement du Duc de Chaulnes, commence une répression véritablement sauvage. On remplit les galères, on pendit sans pitié aux branches des chênes (jusqu'à 15 personnes aux branches d'un même arbre), on roua, on écartela sans miséricorde. Madame de Sévigné écrira le 20 décembre 1675 : "Il y a dix à douze mille hommes de guerre qui vivent comme s'ils étaient encore au-delà du Rhin", (elle fait référence aux ravages du Palatinat en 1674 où les troupes de Turenne comminent des exactions innommables). Puis, plus tard, elle ajoute : " ils s'amusent à voler ; ils mirent l'autre jour un petit enfant à la broche".
Les photos qui suivent sont celles de la Chapelle de Lanvern :
A cette époque, l'entretien de la troupe était dévolu aux villes et aux villages occupés. En 1679 la Bretagne entière est ruinée par l'occupation militaire.
En Bretagne, le bilan de la répression est difficile à chiffrer. Le roi ordonne la destruction de toutes les archives judiciaires concernant la rébellion. Dans le pays Bigouden, une mesure de répression est encore visible : six clochers d'églises et chapelles sont décapités. Reste aussi, peut-être de cette époque, une expression bretonne : "être dans une colère noire" se dit en breton "lakaat e boned ruz", c'est-à-dire "mettre son bonnet rouge".
Quant aux chapelles, la dégradation de la situation économique de la Basse Bretagne dans ces années noires, font que certaines paroisses choisissent de ne pas reconstruire leur clocher. De nos jours encore, les Bigoudens ont en permanence sous leurs yeux les traces palpables de la répression de la révolte.
En Basse-Bretagne, les zones révoltées sont aussi celles qui furent favorables aux Bleus lors de la Révolution Française.
Pour une totale information, voir le site ci-dessous :
http://www.revolte-papier-timbre.com/histoire/index.html