Les souks de Marrakech
Les souks de Marrakech figurent parmi les meilleurs du Maroc. Situés au cœur de la médina, dans un dédale de ruelles, ils offrent un festival de couleurs, de sons et d'odeurs. On a sous les yeux tout ce que l’artisanat marocain compte de diversité. Chaque corps de métiers occupe "sa" ruelle et chaque artisan travaille dans une "échoppe" étroite pleine de bric‑à‑brac. Ces artisans font souvent des œuvres d'art à partir de bouts de ferraille et malgré des conditions de travail difficiles.
Souk des forgerons
Voici quelques photos du souk, accompagnées d'un conte des Touaregs du Niger tiré du livre "Contes et légendes touaregs du Niger" recueillis par Laurence Rivaillé et transcrits par Pierre-Marie Decoudras.
Souk des forgerons
La cupidité punie
"Dans le désert, les gens se déplacent beaucoup. Ils partent sans grandes provisions et sans médicaments, confiants dans le hasard, la solidarité entre Kel Tamasheq (les Touaregs) et s'en remettant à Dieu en cas de maladie. Même si la mort devait survenir, pourquoi s'en préoccuper par avance, puisque Dieu l'aura voulu ainsi. Ce que des étrangers appelleraient "fatalité", n'est en réalité qu'une vision très sereine de la valeur relative de la vie sur terre.
Dans le petit village d'Iférouâne, tout au nord de l'Aïr, un voyageur arriva un jour, très mal en point. Comme sa santé était précaire, il obtint l'hospitalité dans la première case libre. Il y a toujours ainsi une case disponible pour les gens de passage dans toutes les concessions. Il y déchargea ses bagages, confia ses chameaux à des bergers pour les amener au pâturage et s'installa ; puis il chercha à se faire soigner auprès des hommes de sciences, ceux qui connaissent les plantes.
Mais les guérisseurs ne purent rien faire pour lui, les marabouts et les hommes de religion non plus, et l'homme mourut trois jours plus tard. Personne ne savait d'où il venait, et les gens ne connaissaient de lui que son nom.
Ils firent l'inventaire de ses biens et trouvèrent une grosse somme d'argent en liquide et de nombreux bijoux en matières précieuses dans son sac en peau.
Ils pensèrent qu'il avait voyagé très loin ; peut‑être même revenait‑il d'Arabie, car on disait qu'il y avait beaucoup de richesses dans le pays du pèlerinage.
Souk des babouches
Les gens qui l'avaient hébergé se demandèrent ce qu'il fallait faire de tous ses bagages et de ses animaux ; comme ils étaient très partagés quant à la conduite à tenir, ils résolurent d'aller solliciter le chef religieux, l'imam du village en personne.
Ce dernier exigea de voir la fortune du défunt, et après de longues réflexions, il expliqua que, comme on ne connaissait aucun de ses héritiers, le mort serait enterré avec tous ses biens ; quant à ses chameaux, en attendant de voir plus clair dans cette affaire, ils devaient être élevés par ceux qui l'avaient accueilli.
échoppe du menuisier
Les gens d'ici sont très croyants et ils ont pour premier principe de ne jamais discuter les conseils d'un marabout.
Le mort fut donc enterré avec ses biens au cimetière du village.
Dans les jours qui suivirent, les gens allaient, comme de coutume, chaque matin visiter la tombe fraîche pour s'assurer qu'elle n'avait pas été détruite par un prédateur : on a beau prendre toutes les précautions d'usage, placer le corps suffisamment en profondeur et mettre des pierres sur le linceul, il arrive que des chacals ou des hyènes affamés viennent déranger le dernier sommeil des élus de Dieu.
Un matin, quelle ne fut pas leur surprise de trouver l'imam accroupi sur la tombe, occupé à essayer de retirer ses mains de la terre.
Ils constatèrent à quelle ignoble tentation il avait cédé, et comprirent alors pourquoi il leur avait demandé d'enterrer les biens du mort avec lui : c'était dans l'intention de venir les récupérer à la nuit tombée.
Quelques minutes plus tard, tous les gens du village étaient rassemblés au cimetière. Chacun donnait son avis sur la façon dont il fallait s'y prendre afin de retirer les mains du marabout, prisonnières de la tombe. Mais malgré tous les efforts, et une volonté décuplée par la souffrance, l'homme de Dieu n'arrivait pas à les retirer de la terre.
Les plus forts gaillards essayèrent de l'aider, sans résultat, risquant même de lui arracher les bras.
Ils construisirent alors un abri en paille au‑dessus de sa tête, pour le protéger du soleil, et les plus jeunes se relayèrent pour lui apporter de quoi boire, à intervalles réguliers.
Cependant, la douleur était de plus en plus insoutenable : il sentait sur ses mains les caresses des flammes de l'enfer.
Son calvaire dura trois jours et finalement, après d'interminables prières, d'autres marabouts appelés en renfort parvinrent à libérer le malheureux.
Le spectacle de ses mains était horrible : racornies, bleuies, elles étaient déformées par la souffrance et le souffle du Diable.
A la suite de cette terrible épreuve, ce marabout a longtemps prêché dans l'Aïr, avec beaucoup de foi au fond de son âme ; il s'était repenti et avait demandé à Dieu de lui pardonner.
Son aventure lui avait fourni la preuve tangible de ce qui attend les cupides, les mesquins, les mauvaises âmes, tous ceux qui cèdent à la tentation, et il ne se privait pas de faire passer le message tout autour de lui.