Douarnenez : l'île Tristan, moments d'Histoire
Port de pêche florissant jusqu'à la fin des années 1970 et début 1980, Douarnenez, 15 981 habitants, garde encore la réputation d'un grand port sardinier. L'activité de la pêche y est aujourd'hui marginale mais de nombreux bateaux y débarquent encore leurs prises. C'est également un port de plaisance important du Finistère avec Tréboul et le Port-Rhu.
Réputés turbulents et enclins à la fête, les Douarnenistes se font souvent remarquer : en 1921, ils élisent le premier maire communiste de France, Sébastien Velly (1878-1924), puis en 1925, contre la loi, une femme pour conseillère municipale, Joséphine Pencalet (1886-1972), héroïne de la grève des sardinières de 1924.
(Voir le film "Penn sardines", avec Charlotte Valandray, Jean Marie Winling, Marie Pillet. Un film de Marc Rivière produit par Claude Fléouter).
Penn sardin est le nom donné aux femmes de Douarnenez en raison de la forme de leur coiffe.
Le blason, adopté par la ville en 1977, représente une pièce moitié clé moitié ancre qui est unique dans l'héraldique des communes. Elle rappelle la légende de la Ville d'Ys : http://0z.fr/Rqxzv
Les entrelacs de cordages aux couleurs de la Bretagne accompagnent les fous de Bassan qui font référence à la vie professionnelle des marins pêcheurs.
Sur la banderole, la devise de la ville, "Dalc'h mad" en français "Tiens bon", rappelle ce que disent les marins pris dans les tourments de la tempête ou de la vie.
Une petite île, l'île Tristan, se situe à 300 mètres des rivages de Douarnenez, dans l'embouchure d'une ria appelée le Port Rhu.
D'une surface de 6 hectares (450 m de long sur 250 m de large), elle présente une multitude d'aspects : côtes rocheuses, falaises, prairies, vergers, bois, jardins.
L'île est accessible à pied par marée basse.
Aux endroits les plus exposés aux vents et aux embruns, seules subsistent des landes littorales sèches, des bruyères où des fougères.
Là où la végétation est plus abritée, des feuillus et des résineux trouvent des conditions pour s'implanter.
Au sud de l'île, le verger abrite une diversité de fruitiers : pommiers, poiriers, pruniers, néfliers.
La présence d'eau douce et une position stratégique expliquent l'occupation humaine depuis des millénaires.
Bien que petite, cette île chargée d'histoire occupe une place importante dans le cœur des Douarnenistes.
Dès l'âge du Bronze, les hommes ont fréquenté ce promontoire isolé.
Au XIIe siècle, l'île (sous le nom de l'île de Saint Tutuam), fut l'ermitage de Robert, futur évêque de Cornouaille de l'an 1113 à l'an 1130. Puis, il en fait don au monastère de Marmoutier (près de Tours en Indre-et-Loire).
Ce nom ancien (Saint Tutuam) fait référence à Saint Tudy, pourrait être à l'origine du nom de la ville. Une autre explication étymologique courante est que Douarnenez vienne de la déformation du breton « douar an enez » qui signifie « la terre de l'île ». L'acte de donation indique qu'une église y existait déjà, ou plutôt un petit monastère. Quant au don, il semble avoir eu comme but un renouveau dans la vie religieuse du diocèse.
Fortifiée durant les guerres de succession de Bretagne, "l'Ile Trestain" est tour à tour occupée par des garnisons anglo-bretonnes et franco-bretonnes.
La guerre de succession de Bretagne, qui dura de 1341 à 1364, est l'une des guerres secondaires qui ont eu lieu au cours de la guerre de Cent Ans.
Elle se déclenche en 1341 à la mort du duc Jean III de Bretagne entre Jean de Montfort et Charles de Blois (neveu du roi de France Philippe de Valois) qui revendiquent chacun le duché. Mais la France et l'Angleterre sont en conflit depuis 1337 et Édouard III s'est proclamé roi de France. Ainsi Jean de Montfort lui prête l'hommage lige alors que Charles de Blois le fait pour son oncle Philippe VI de France.
En juillet 1341, une alliance est scellée entre Jean de Montfort et Edouard III, l'alliance est assortie du comté de Richemont, fief anglais entrant alors dans le patrimoine des ducs de Bretagne.
Edouard III débarque à Brest en 1342.
Jean de Montfort meurt le 26 septembre 1345 à Hennebont. Son fils, le futur Jean IV, est placé sous la tutelle de Edouard III.
Les défaites françaises à Crécy en 1346, ou Calais en 1347, la grande peste (1348/1352), puis la capture du roi de France Jean le Bon à la bataille de Poitiers (1356) neutralisent les Français. Charles de Blois perd petit à petit du terrain sur les capitaines anglais, et la Bretagne a intérêt à être pro-anglaise pour des raisons économiques (les Anglais importent du sel).
Plus tard, le Duc de Bretagne Jean IV rachètera Brest aux Anglais en 1397.
Les guerres de la Ligue du XVIème siècle sont un autre épisode sanglant de son histoire.
Pendant les guerres de religion, la France est ainsi divisée par deux factions soutenues financièrement et militairement par des pays étrangers.
La reine d'Angleterre Élisabeth Ire intervient en soutenant les protestants et le roi d'Espagne Philippe II en soutenant le clan des Guise, partisan du catholicisme intransigeant.
En 1595, un certain Guy Eder de la Fontenelle, dont le souvenir est encore très fort à Douarnenez, se retranche dans l'Ile Tristan pour quelques années durant lesquelles il déferlera sur les terres alentour pour piller et semer la terreur.
Guy Éder de Beaumanoir de la Haye, dit la Fontenelle, né en 1573 est issu d'une ancienne famille de Bretagne, sa famille résidait dans le manoir de Beaumanoir au Leslay, près de Quintin (Côtes-d'Armor).
Il a ravagé le Nord Finistère puis la région de Quimper et est entré dans la légende par ses cruautés. Disposant d'une troupe de 400 cavaliers, il s'est livré à des meurtres, des massacres et des pillages.
La lutte contre les protestants, assez peu présents en Bretagne, ne fut plus qu'un prétexte et La Fontenelle devint un chef de brigands redouté surnommé "Ar Bleiz" (le loup en breton). Il se réclame du parti du Duc de Mercoeur, Duc de Bretagne et partisan de la Ligue, allié aux Espagnols.
En 1595, il ravagea Locronan et ses filatures de lin et de chanvre, puis le port de Pouldavid d'où partaient les voiles tissées à Locronan et enfin Douarnenez, où il obligea les habitants du lieu à démolir leurs maisons pour édifier des fortifications sur l'Ile Tristan.
Sur l'île, qu'il baptisa de son nom, "île Guyon", il entretenait une "armée" de 1 200 hommes et avait construit une flotte de 6 à 10 navires de guerre bien armés commandée par un certain capitaine Orange.
Plus tard, ce fut la mise à sac de Penmarc'h en mai 1596.
Vers 1597, La Fontenelle, dépité de ne pas avoir conquis Quimper et devant le refus de Pont-Croix de lui payer tribut, monta une expédition punitive sur cette dernière cité. Après avoir mis en déroute les paysans qui s'y étaient réfugiés, ainsi que les habitants, ou assassiné ceux qui n'avaient pu s'enfuir, les soudards envahirent et pillèrent la ville.
Les notables se refugièrent dans l'église. Accompagnés du Recteur Jean Le Cosquert, de La Villerouault (le "capitaine" de la population) et de son épouse, ils se replièrent dans le clocher. Les premiers assaillants furent très aisément refoulés. Devant cette résistance, La Fontenelle et son Lieutenant La Boule, les firent enfumer en brûlant des genêts verts dans l'escalier. Après avoir parlementé un certain temps, il leur promit la vie sauve.
Les assiégés furent alors saisis dès leur sortie, les femmes violées, les hommes massacrés ou pendus.
Recherchant des alliances avec les belligérants des guerres de religion, il proposait, contre l'utilisation de sa place forte (l'Ile Tristan), son concours tantôt aux Anglais, tantôt aux Espagnols (déjà installés en face de Brest, sur la pointe qui porte encore leur nom, "la Pointe des Espagnols" et à Port Louis dans le Morbihan).
Assiégée par trois fois, dont une dernière fois du 7 juin au 17 août 1597, elle ne fut jamais prise.
En 1598, après la paix de Vervins qui vit le départ des Espagnols de France, il obtint le pardon du roi Henri IV pour ses crimes. Henri IV le fit gouverneur de l'Ile Tristan et lui donna la vice-amirauté de Bretagne.
Plus tard, en 1601, Il est accusé d'avoir participé à la conspiration du duc de Biron au profit des Espagnols et le Parlement de Paris le condamne pour haute trahison au supplice de la roue. Il est rompu vif et exécuté à Paris en place de Grève en septembre 1602. Sa tête fut exposée sur une des portes de Rennes.
Henri IV décida le démantèlement des fortifications de l'île Tristan en 1602.
Le XVIIIè siècle voit l'édification d'une batterie…
…et d'un corps de garde.
Napoléon III y bâtira ensuite l'actuel fortin.
En 1856, un phare entretenu par un gardien est construit.
À la fin du XIXème siècle, des presses à sardine sont construites sur l'île puis une usine de conserves au milieu du XIXème siècle.
Pendant la seconde guerre mondiale, les Allemands y couleront leurs blockhaus…
…et détruiront l'usine construite en avant de l'île, où se trouve actuellement une statue commémorative.
Ci-dessus, côté pile de la statue, dessous, côté face :
La famille du poète Jean Richepin s'installera sur l'Ile Tristan pendant quelques décennies jusque dans les années 1990.
L'île Tristan est un site classé au titre de la loi de 1930. Abandonnée pendant de nombreuses années, elle a été achetée en 1995 par le Conservatoire du Littoral qui a entrepris un important programme de travaux de réhabilitation. Un garde assure l'entretien quotidien. L'accès à l'île, accompagné d'un guide, n'est autorisé qu'après inscription auprès de l'Office du Tourisme de Douarnenez.
Pour en revenir à La Fontenelle, les mises à sac de Penmarc'h, de Pont-Croix et d'autres villes du Sud Finistère lui ont rapporté un énorme butin qu'il entasse dans l'île Tristan à Douarnenez. Certains pensent encore aujourd'hui qu'un trésor y serait enfoui quelque part. Douarnenez a donc son île au trésor.
Source pour La Fontenelle :
La Fontenelle, seigneur de la ligue, de Jean Lorédan, documents inédits, Librairie Académique, Paris, 1926