Cambodge ; un temple khmer : le Ta Prohm
La fin du règne de Suryavarman II, le constructeur d'Angkor Vat, annonce une première période de déclin de l'Empire Khmer. Suryavarman lança une campagne militaire désastreuse contre le Dai Viet au cours de laquelle il fut tué. Des rivalités entre ses successeurs, ajoutées au mauvais fonctionnement des réservoirs et des canaux d'irrigation et aux difficultés financières auxquelles se trouvait confronté le royaume suite à la construction d'Angkor Vat, engendrèrent une période troublée. S'ajoute à tout cela un problème religieux : le Dieu Roi ayant failli, le culte de Suryavarman II, l'adoration de Vishnu, commença à céder la place au Bouddhisme.
Profitant de cette période troublée, en 1177, les Chams, du Royaume Champa, située au niveau de Danang sur la côte vietnamienne, remontent le Mékong, puis le Tonlé Sap, prennent et saccagent Angkor, tuent son roi, brûlent la cité de bois et pillent ses richesses.
C'est alors qu'apparaît Jayavarman VII, le "Protégé de la Victoire", quatre ans plus tard. Il défait les Chams sur le lac Tonlé Sap en 1181. (La Fête de l'Eau qui se déroule à Phnom Penh, trois jours après la pleine lune de novembre, commémore cet évènement). Accessoirement, il annexe le Champa.
Vishnou n'ayant pas su protéger le royaume, Jayavarman VII opte pour le bouddhisme mahayana, religion qui semblerait déjà avoir les faveurs de son peuple. Comme on l'a vu précédemment pour les autres rois Khmers, sa première préoccupation fut d'entreprendre des travaux d'utilité publique : restauration du système hydraulique, construction de 102 d'hôpitaux, de routes avec ses 121 gîtes d'étape, de ponts comme celui de Kampong k'day ci-dessous :
Puis il se lance dans la construction de temples, en commençant par rendre hommage à ses ancêtres. En 1186, il fait construire le Ta Prohm dédié à sa mère.
C'était un vaste monastère bouddhique qui couvrait 60 hectares et se composait de deux parties :
D'après une inscription trouvée sur une stèle dans le Ta Prohm, la première partie, d'une surface de 55 hectares, permettait de loger 12 640 personnes.
La seconde partie, d'une surface de 5 hectares, était réservée aux 260 divinités.
Les inscriptions sur la stèle rapportent aussi que plus de 66 000 fermiers produisaient plus de 2 500 tonnes de riz par an pour nourrir la multitude de prêtres, de danseuses et d'ouvriers du temple.
Comme les autres temples khmers, il est inclus dans une enceinte de grandes dimensions (1 km sur 700 m). Les portes (une à chaque point cardinal) sont ornées d'une tour aux quatre visages orientés aux quatre points cardinaux. Les douves qui l'entourent mesurent 40 m de largeur.
L'Ecole française d'Extrême Orient a décidé de laisser le Ta Prohm dans un état proche de sa découverte au début du XXe siècle. Néanmoins beaucoup de travail a été nécessaire pour stabiliser les ruines et en permettre à l'accès.
Description du site par Pierre Loti dans son livre "Le pèlerin d'Angkor" (1913) :
"Il y a un entêtement de destruction même chez les plantes. Le Prince de la Mort, que les Brahmes appellent Shiva, celui qui a suscité à chaque bête l'ennemi spécial qui la mange, à chaque créature ses microbes rongeurs, semble avoir prévu, depuis la nuit des origines, que les hommes tenteraient de se prolonger un peu en construisant des choses durables ; alors, pour anéantir leur œuvre, il a imaginé, entre mille autres agents destructeurs, les pariétaires, et surtout ce « figuier de ruines » auquel rien ne résiste.
C'est le «figuier de ruines» qui règne aujourd'hui en maître sur Angkor. Au-dessus du palais, au-dessus des temples qu'il a patiemment désagrégés, partout il déploie en triomphe son pâle branchage lisse, aux mouchetures de serpent, et son large dôme de feuilles.
Il n'était d'abord qu'une petite graine, semée par le vent sur une frise ou au sommet d'une tour. Mais, dès qu'il a pu germer, ses racines, comme des filaments ténus, se sont insinuées entre les pierres pour descendre, guidées par un instinct sûr, vers le sol, et, quand enfin elles l'ont rencontré, vite elles se sont gonflées de suc nourricier, jusqu'à devenir énormes, disjoignant, déséquilibrant tout, ouvrant de haut en bas les épaisses murailles ; alors, sans recours, l'édifice a été perdu."
Pierre Loti :
Né Louis Marie Julien Viaud, le 14 janvier 1850 à Rochefort et mort le 10 juin 1923 à Hendaye, est un écrivain français qui a mené une carrière d'officier de marine. Après des funérailles nationales il fut enterré sur l'île d'Oléron.
Pierre Loti dont une grande partie de l'œuvre est autobiographique s'est inspiré de ses voyages de marin pour écrire ses romans. Parmi les plus connus "Mon frère Yves" et "Pêcheur d'Islande".
Il écrivait également dans ce livre, à cette époque (1913) :
…D'autres aventuriers, venus d'un pays plus à l'Occident (le pays de France), troublent quelque peu la forêt éternelle, car ils ont fondé non loin d'ici un semblant de petit empire. Mais ce nouvel épisode manquera de grandeur, et surtout manquera de durée ; bientôt, lorsque ces pâles conquérants auront laissé encore, dans la terre indochinoise, beaucoup des leurs – hélas ! Beaucoup de jeunes soldats irresponsables de l'absurde équipée – ils devront plier bagage et fuir…
Il semblerait que l'avenir lui ait donné raison.