Bretagne : Conte de Noël
A la Pointe de Brézellec, juste au-dessus du port-abri déserté par les barques de pêche en hiver, Une crèche de Noël fait face à la mer. Plutôt un petit village, que certains nomment "Bethléem sur mer". Son créateur ? C'est Yves Pennamen, de Laoual en Plogoff, le village des irréductibles, qui s'occupe de ce petit lopin de terre, son jardin, comme il dit. Et pour accompagner ces quelques photos, un petit conte breton de Noël, un peu triste, mais plein du bon sens. Son auteur ? Pierre Jackez Hélias, comme bien souvent.
Ci-dessous, Brézellec en été :
Et aujourd'hui, 27 décembre 2008, par fort vent de Nord Est, toutes les barques sont rentrées :
Il y avait une fois, quelque part en Bretagne, un petit garçon qui ne riait jamais. Ne me dites pas que ce n'est pas vrai. C'est Joz Scuiller, de la paroisse de Tréguennec, qui m'a conté son histoire. Si l'on me donnait à choisir entre une seule parole de Joz Scuiller et les charretées de papier noirci qui sont conservées, à Quimper, dans la grande maison des archives, je mettrais le feu à toute cette encre. Ne me demandez pas non plus où habitait le petit garçon. Il habitait partout où l'on parle breton. Vous êtes contents, maintenant !
Il ne savait pas rire au soleil d'avril, aux fleurs qui s'ouvrent sur l'aubépine, à son image dans la fontaine, au chat qui joue avec une mèche de chanvre, à l'écume de la mer dans les galets. Aux grimaces des hommes non plus il ne riait pas. Il n'avait pas ri, dans son berceau, quand il avait fait connaissance avec son pied nu. Il ne savait même pas rire à sa mère. Pourtant, la pauvre femme avait fait les sept possibles pour lui apprendre.
Cent fois, elle avait conté les tours du lièvre qui broute dans le petit pré du creux de la main et qui échappe aux cinq doigts pour se réfugier dans le nombril de l'enfant. Mais l'enfant ne riait même pas quand on lui chatouillait le nombril. Il regardait sérieusement sa mère. On voyait, dans ses yeux, beaucoup d'affection pour elle, mais encore plus d'indulgence. Elle n'avait pas vu sortir sa première dent. Quant à son père, il n'osait pas lever les yeux sur lui. Il se croyait devant un juge.
L'enfant trop sage n'avait pas d'amis. Les joueurs de marelle, les lanceurs de toupie, les coupeurs de sifflets, les manieurs de frondes, les patrouilleurs de campagne qui avaient son âge l'appelaient le Korrigan parce qu'il y avait en lui une âme de vieux avant même qu'il eût hissé ses premières braies. Personne ne l'avait jamais vu courir. Il passait son temps à s'occuper d'un oiseau qu'il avait mis en cage. Ce n'était pas pour se réjouir de ses ébats ni de son chant, mais pour le garder à l'abri des rapaces, des chats et de l'hiver. Il le nourrissait avec soin, lui tenait conversation quand ils étaient seuls, lui reprochait sa tête folle quand il se cognait aux barreaux.
Tous les ans, à la fin de l'automne, il élevait la voix pour demander à son père de ramasser tous les oiseaux des champs dans la maison avant les grands froids. Il avait le coeur bon, mais il ne pensait pas à la liberté des bêtes. Il faut savoir rire de naissance pour avoir des idées pareilles. Il ne savait pas.
Une année, aux approches de Noël, sa mère s'en fut à Plonéour pour livrer la dentelle qu'elle faisait de nuit aux dépens de ses yeux. Sur la place, il y avait une boutique de bonbons qui vendait aussi des oranges. La pauvre femme en aurait bien acheté une pour son fils, mais l'aurait‑il mangée, ce petit moine !
Elle s'en allait en soupirant quand la marchande, une femme inconnue sous une coiffe étrange, lui dit d'une voix douce : « Pour votre fils, Marie‑Jeanne, il faudrait un grain de folie ». Elle offrait une sorte de noisette grise, enfilée dans un lacet : « Vous la lui mettrez au cou, sous la chemise. Et qu'il la garde sept ans ! ». La mère prit l'objet et fouilla dans sa jupe pour tirer sa bourse. Quand elle releva les yeux, il n'y avait plus rien devant elle, plus rien que la pierre du pilori qui s'y trouve toujours.
Si grande était la joie de Marie‑Jeanne qu'elle ne chercha pas plus loin. Vous et moi, nous aurions ouvert notre gorge au soleil pour mieux nous étonner. Mais nous n’avons pas mis sur terre un enfant qui ne sait pas rire.
C'est ainsi que le petit garçon, au matin de Noël, trouva dans son sabot la graine couleur de cendre. A peine l'eut‑il passée à son cou et réchauffée un moment sur sa poitrine qu'on le vit changer de visage. Et soudain, pour la première fois, on entendit son rire. Il se mit à tourner, à sauter, à danser sur l'aire de sa maison en débitant toutes les comptines qu'il avait entendues depuis sa naissance sans lever un sourcil ni montrer une dent. Il bondit sur le dos de son père qu'il fit trotter comme un cheval de manège en riant aux éclats. Il défit, pour s'amuser, le lacet de coiffe de sa mère qui manqua étouffer de joie. Et il riait toujours. A la fin, il se jeta dehors et rassembla tous les gamins du quartier pour une partie de colin‑maillard. Quand il rentra, le soir, il avait déchiré ses braies en montant aux arbres. Avant de se coucher, il ouvrit la cage et libéra son oiseau. La nuit, on l'entendit rire et siffler dans son sommeil. Dehors, la neige s'était mise à tomber.
Le lendemain, quand il se réveilla, le nouveau luron engloutit sa soupe au café et sortit pour courir l'aventure. Or, en traversant le verger, il trouva son oiseau tout raidi de froid sur une branche morte. L'enfant avait bien changé depuis la veille, mais il était demeuré bon, la graine de folie n'y pouvait rien. Il déboutonna sa chemise et mit l'oiseau contre sa peau pour le dégourdir. La petite bête revint à la vie et, comme elle avait grand'faim, elle dévora la graine couleur de cendre qui était à portée de son bec, suspendue au lacet. Puis elle s'envola pendant que l'enfant sentait retomber sur ses épaules le poids de la sagesse.
Il rentra chez lui. Dehors, ses camarades l'appelaient à grands cris, à grands coups de sifflets. Il ne les entendait plus. Les yeux secs, il méditait devant la cage vide. Alors, il entendit un froissement d'ailes. L'oiseau était revenu. Il se glissa de lui‑même dans sa cage et ne bougea plus. Il avait l'air vieux. Voilà ce que la graine couleur de cendre avait fait de lui. La folie des hommes, c'est la sagesse des oiseaux et, quand un oiseau devient sage, il ne veut plus de sa liberté. Le petit homme et la petite bête se regardèrent longtemps. Ils ne savaient plus ni rire ni siffler. Ils avaient pourtant su.
Quand la mère rentra des champs, elle les trouva morts tous les deux.
Ci-dessous, Yves Pennamen :
A tous les visiteurs de mon blog, tous mes voeux de bonheur et de santé pour l'année 2009.
Coucher de soleil sur l'île de Sein.